Hunter s'est laissé couler au fond des mers, faisant émerger Judy Quinn sur la scène littéraire. Preuve en est que son récit a fait chavirer les jurés du prix Robert-Cliche 2012, décerné à un premier roman.

Pour autant, l'auteure est loin d'en être à ses premières brassées dans le bassin des lettres, puisqu'elle a préalablement signé un trio de recueils de poésie (sous la coupe des éditions du Noroît). En dépit de ces antécédents, les balises n'ont pas été omises: alors qu'on anticipe un récit nageant entre deux eaux, flottant quelque part entre la prose poétisée et la poésie romancée, les premiers chapitres suggèrent une écriture qui ne tanguera pas.

Tant mieux: c'était une condition sine qua non pour relater l'histoire de Hunter. Embarqué dans le tourbillon absurde du second conflit mondial, le voici debout, avec ses camarades, sur le pont d'un navire de guerre - un pont vers la mort.

«Le bruit des vagues me rend fou. Comme le tic-tac d'une montre qui ne donne pas l'heure.» Nanette, elle, est restée sur le rivage.

Hunter s'est laissé couler, mais les souvenirs refont surface, bout à bout, mot à mot. Hunter est reconstruit, reconstitué à partir du croisement des regards de ceux qui l'ont côtoyé.

Et c'est bien dans la polyphonie que réside l'impact de ce récit. Livré sous de multiples facettes, il navigue entre l'échange épistolaire, le récit classique, le carnet de bord, le témoignage. Les narrateurs s'enchaînent, se complètent, et tout s'imbrique pour ne former qu'un seul prisme.

Surtout, alors que l'on guette une maladresse, un léger faux pas, un verbe moins assuré, c'est une voix d'une maturité déroutante qui vibre à travers ce roman plein d'embruns.

Pour la petite histoire, en guise de matière première, Judy Quinn est partie secouer son arbre généalogique pour en recueillir le fruit, à savoir la correspondance entre ses grands-parents.

Et l'on comprend mieux pourquoi Hunter s'est laissé couler donne l'irrépressible envie d'aller fouiller les caves et greniers de ses ascendants ou, pour ceux qui ont encore cette chance, d'aller questionner ses grands-parents.

EXTRAIT, pp. 117-118

«[...] les belles paroles n'ont jamais sauvé ce qui doit couler, tout finit toujours de toute façon par couler, Hunter s'est laissé couler, il avait quarante ans, il m'a dit laisse-moi, sauve ta peau Souci, il ne savait pas nager, il disait à quoi ça sert de savoir nager en pleine mer? , il y a un an Hunter est mort et j'ai soudain oublié mon anglais, je ne comprenais plus rien au Washington Post, pendant des jours je suis resté hébété, une partie de mon cerveau s'était éteinte, je marchais d'une pièce à l'autre en regardant de temps en temps par la fenêtre, Hunter fumait allègrement, c'est ce qui l'a perdu, tout finit toujours de toute façon par couler, il avait quarante ans, il en avait quatre-vingts, peut-être plus, la précision se perd, les cloches sonnaient à l'heure, lever à cinq heures, à six heures le gin sur le pont, entre les deux une bruine continuelle, à la mort de Hunter j'ai creusé la terre d'avril qui était déjà meuble, ma femme paniquée a appelé mon fils, ton père ne va pas bien du tout, il me fait peur, j'ai lancé dans le trou mes médailles, ma femme m'a dit ne fais pas ça, tu deviens fou Victor, j'ai remis la terre dans le trou et je suis parti me coucher.»