De l'imaginaire tordu de Jean-François Poupart, qui a essentiellement oeuvré en poésie jusqu'à présent (Tombe Londres tombe), nous arrive ce nouveau titre de la collection Coups de tête, Toujours vert. Pastiche de roman noir américain traduit en argot français, Toujours vert est une sinistre farce qui se lit d'une traite, comme les personnages se tirent une ligne de coke. Avec l'effet euphorisant souhaité.

Nous sommes en 2018, dans une communauté protégée nommée Evergreen, peuplée d'anciennes rock stars qui refusent de mourir, dans la vie comme dans leur style sex drug and rock'nroll. «Ses habitants doivent leur renommée à la musique, certes, mais surtout à la drogue et au sexe, et ce ne sont pas quelques liftings, quelques pontages ou quelques morts cliniques qui les empêchent de communier à cet idéal.» On a retrouvé le cadavre de John Lord dans la piscine de Lou Reed (qui se fait lécher les orteils par un chien nommé Andy); le maire de la place, Ray Mansarek, commande l'enquête à Mike Burns, ex-vétéran timbré de la guerre en Irak, flic junkie jusqu'à l'os, autant en quête de sa dose que de la vérité.

 

Au-delà de l'intrigue, c'est l'univers pathétique et désespéré proposé par Poupart qui séduit dans ce récit d'une centaine de pages. Un univers où Alice Cooper s'entête à inviter le monde dans son cauchemar (et ce monde répond toujours à l'invitation), où Blondie se confond avec Grace, où Deep Purple continue de bleuter faussement les nuits d'Evergreen et où Keith Richards conduit le taxi. On carbure à la jeunesse perdue - et pas parce qu'elle se cherche mais bien parce qu'on ne la retrouve plus - pendant que de jeunes filles, dans les pays pauvres, disparaissent, ainsi que leurs vagins, destinés à des reconstructions esthétiques... Bref, c'est «l'Amérique de Caligula», constate sans broncher Mike Burns, qui ne fera rien pour s'éviter de brûler en enfer, comme son nom l'y prédestine.

À la fois une charge et un délire sur cette obsession de la jeunesse éternelle, Toujours vert ne renferme aucun gramme de nostalgie, qu'un pur concentré de haine contre «les apôtres aux couilles molles de Satan», ce qui représente quand même un ultime sursaut d'énergie pour Mike Burns puisqu'il affirme: «J'ai le sentiment euphorique d'appartenir au pire de l'Histoire.»

Une lecture super méchante à recommander à ceux qui n'en peuvent plus de voir revenir, comme des zombies increvables, les Rolling Stones. Ou à tout ceux qui ont osé survivre à leur propre sentence: «On ne peut faire confiance aux plus de 30 ans...»

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Toujours vert

Jean-François Poupart Coups de tête, 109 pages, 9,95$

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