L'auteur et anthropologue Serge Bouchard nous revient avec un second Bestiaire dans lequel il donne voix aux animaux de notre Taïga oubliée.

Aussi poétiques et inspirantes que celles gravées dans le premier Bestiaire, les nouvelles Confessions animales que nous livre Serge Bouchard dirigent notre regard vers nos sentiers et rivières, vers le discret couguar, le noble hibou, l'humble morue et la rapporteuse outarde, à la recherche de la beauté perdue.

 

«Je me suis intéressé tout d'abord à l'anthropologie parce que les «sauvages» m'intéressaient, rapporte l'auteur pour qui l'étude des hommes se lie naturellement à celle des animaux. J'étais un petit garçon frustré qui savait bien qu'on lui comptait des histoires à l'école. Moi, je voulais qu'on me parle des Indiens. J'ai d'ailleurs passé 40 ans à tenter de démêler les différences entre les nations, des Algonquins aux Ojibway, à étudier toutes les cultures. Je suis allé en anthropologie parce qu'eux m'intéressaient.»

L'anthropologue s'est donc rapidement penché sur la symbolique des animaux par le biais de la «pensée sauvage» que l'on connaît aujourd'hui grâce à l'ethnologue Claude Lévi-Strauss. «Il faut prendre au sérieux la pensée sauvage, souligne Bouchard. C'est une contribution anthropologique philosophique majeure. Il y a bien sûr plusieurs façons de penser le monde, mais pendant 90 % de l'histoire de l'humanité, il n'y a eu qu'une façon: la façon mythologique. Les gens ne se méfiaient pas de la poésie, ils roulaient avec la vague de l'imaginaire, moussant la réflexion. Nous, les humains, avons été des poètes. Nous avons créé des mondes où il y avait des dialogues avec les animaux sauvages, avec la nature, les arbres, les plantes, les morts. Il y avait aussi une unité. Et nous en faisions partie.»

«Le judéo-christianisme, le rationalisme, les grecs, la science, tout cela a été un moment catastrophique dans l'histoire de l'être humain, poursuit-il. Nous nous sommes dissociés de la nature. Nous nous sommes en fait placés en face d'elle. Moi, je continue d'aller en sens inverse.» Ce deuxième Bestiaire est d'ailleurs empreint de cet imaginaire animiste, la mésange nous avertissant d'emblée que le loup n'est pas qu'un loup. «Je ne m'en cache pas, j'adhère complètement à cette pensée. Je suis heureusement resté bloqué il y a 4000 ans» lance-t-il en riant.

La fierté du territoire

Sous la plume de Serge Bouchard, le lubrique ouaouaron vante la cuisse de grenouille tandis que le polatouche rêve d'un rendez-vous de minuit sur votre terrasse à discuter. Une touche d'anthropomorphisme que l'auteur ne voit pas en contradiction avec l'éthologie, cette science du comportement animal. «L'homme est le seul être à ce jour qui a une possibilité de réflexion, répond Bouchard. La nature est réfléchie par l'homme, c'est ce qui nous distingue. Il ne faudrait pas qu'on se sente coupable d'avoir cette capacité d'imagination, quand même! Il faut au contraire savoir en tirer une grandeur. J'en ai contre l'anthropomorphisme à la Walt Disney, qui transforme la beauté en insignifiance au lieu d'au contraire en faire quelque chose de signifiant.»

L'éloge de la beauté et de l'imaginaire reste d'ailleurs une constante dans les ouvrages de Serge Bouchard. «En choisissant d'exposer des animaux, ça me permet d'aborder un autre aspect: celui du territoire. Nous vivons dans la négation de notre territoire, celui-ci étant complètement absent de notre culture. Plus de 70 % de notre territoire, c'est de la taïga. Or, nous ne savons rien de la taïga. Nous sommes une population amassée sur la frontière, le regard tourné vers le sud, vers Miami, vers la Provence. Je suis également atterré de voir les documentaires du Canal D, ces documentaires sur les animaux de partout dans le monde sauf d'ici. Les enfants connaissent davantage les animaux des autres pays que ceux qui vivent sur le même territoire qu'eux. On n'investit pas d'argent dans des documentaires qui parlent de notre faune. Nous-mêmes mélangeons nos propres cervidés. Qu'y a-t-il sur le vingt-cinq sous? Un orignal? Un chevreuil? Non, c'est un caribou! Pour plusieurs, il n'y a même pas de différences. D'autant plus que les gens utilisent souvent les noms européens de ces animaux. Quelle ironie! C'est la décadence de notre culture. Or, il faut retrouver la fierté de notre territoire.»

Les bestiaires de Serge Bouchard demeurent donc dans la lignée des Remarquables oubliés, cette série fort populaire que l'anthropologue a dirigée sur la première chaîne de Radio-Canada et où l'animateur mettait en lumière de grands personnages laissés dans l'ombre. «Je vois effectivement les bestiaires comme un cri du coeur de cette partie de nous-mêmes que l'on oublie et qui ne semble pas nous intéresser, reconnaît Bouchard. C'était une façon de détourner le regard des métropoles.»

______________________________________________________________________________________

Confessions animales, Bestiaire II de Serge Bouchard, Éditions du passage, 130 pages, 39,95 $

Présence au Salon de Serge Bouchard: demain, de 19 h à 21 h, samedi de 14 h à 16 h et dimanche de 15 h à 17 h.