On entre dans La dernière des Stanfield avec le sourire, rassuré: c'est bien dans l'univers familier et charmant de Marc Levy que l'on a atterri. Nous avons rencontré le romancier français qui était de passage à Montréal, la semaine dernière, pour discuter de son nouveau titre.

C'est sur une note humoristique que s'entame La dernière des Stanfield, alors que l'on fait connaissance avec une Londonienne à la famille dysfonctionnelle qui ne porte comme prénom nul autre que le titre d'une chanson des Beatles. Il faut dire, d'ailleurs, que l'humour flegmatique de Marc Levy ne s'absente que par rares éclipses de ce roman, son 18e à ce jour.

Construit comme un casse-tête dont les indices seraient disséminés tout au fil du récit, La dernière des Stanfield s'inscrit en 2016 et remonte jusqu'aux heures les plus incertaines de la Seconde Guerre mondiale, en passant par les années 80.

«J'avais l'envie de raconter l'histoire d'un homme et d'une femme qui ne se connaissent pas et qui reçoivent, à un temps donné, une lettre anonyme qui remet en cause l'identité et le passé de leur mère respective», explique le romancier.

L'intrigue est située entre Londres, les Cantons-de-l'Est - une région pour laquelle il n'a jamais caché son affection pendant ses séjours aux Correspondances d'Eastman - et... Baltimore.

Pourquoi Baltimore? «C'est la première ville où j'ai mis les pieds quand je suis arrivé aux États-Unis à 18 ans, confie Marc Levy, qui vit à New York depuis quelques années. C'est une ville de la côte Est qui n'a jamais eu le charme ou la modernité de Washington ou de New York, et dont on parle peu. Une ville très dure au passé industriel qui, pendant les années 80, était secouée par un grand scandale de corruption à la mairie. Anachronique, pleine d'aspérités et intéressante.»

Dès les premières pages, la curiosité du lecteur est piquée. Qu'est-ce qui peut bien lier une journaliste au magazine National Geographic à deux amies un peu rebelles de Baltimore?

Le tableau se dessine à un rythme mesuré, dévoilant une énigme à la fois prenante et divertissante sur fond de mensonges et de secrets de famille.

Et posant, par le fait même, une question capitale: à quel point connaît-on réellement les gens que l'on côtoie depuis sa tendre enfance?

«On attribue à la famille d'être la sphère la plus intime, mais cette sphère est remplie de non-dits, et aussi de non-questions. On blâme tout le temps nos parents, ou notre frère ou notre soeur de leurs zones d'ombre, mais il y a une forme d'hypocrisie là-dedans parce qu'il y a aussi notre incapacité et notre lâcheté à poser des questions», estime l'auteur.

Écrire «comme on part en mer»

Lorsqu'on l'interroge sur ce qu'il aime lire, Marc Levy est intarissable. Il y a les romans de Richard Yates, qui lui ont apporté des «choses extraordinaires dans la vie»; L'été avant la guerre, d'Helen Simonson, un roman qu'il a «adoré» autant que Le bizarre incident du chien pendant la nuit, de Mark Haddon, ou que les oeuvres de John Grisham, Peter Mayle et Bret Easton Ellis...

Mais quand on évoque ses propres romans, Marc Levy hésite: à ses yeux, aucun d'entre eux n'est plus important qu'un autre, et La dernière des Stanfield ne fait pas exception. «À ceci près, ajoute-t-il, que je suis heureux d'avoir écrit Les enfants de la liberté [paru en 2007]. Je pense que ce roman a rattrapé par le col quelques adolescents qui auraient pu être tentés par la force obscure et qui, en lisant cette histoire, ont compris qu'ils n'allaient pas dans la bonne direction.»

Pendant qu'il écrit, Marc Levy lit essentiellement de la documentation utile à son roman. «En revanche, dès que j'ai terminé d'écrire, je me remets à lire. Les livres ont toujours été des compagnons dans le quotidien.»

Avant de devenir écrivain, il y a 17 ans, le romancier mondialement célèbre n'avait pas écrit une seule ligne. À part, précise-t-il, un manuscrit «très mauvais» vers l'âge de 18 ans, qu'il a par la suite «jeté à la poubelle».

«Je suis devenu papa très jeune, donc il fallait que je travaille. Entre mon travail, qui était assez difficile, et le fait que j'étais un papa seul, il n'y avait pas de temps pour les loisirs.»

Désormais, celui qui publie un roman par année entame sa «saison d'écriture» aux alentours de septembre. Puis il écrit pendant quatre mois, sept jours sur sept, à raison de 11 heures par jour. «Je m'enferme. J'entre en écriture comme on part en mer.» Sans jamais se préparer, pourtant.

«C'est peut-être ce qu'il y a de plus inconscient, d'irresponsable de mon existence. Aujourd'hui, j'ai sept ou huit idées, mais je ne sais pas du tout laquelle pourra devenir un roman, ni même s'il y en a une des huit qui pourra devenir un roman. Mais il y a une petite voix en moi qui dit "ne t'inquiète pas, début septembre, ça va se préciser". En même temps, si ça ne se précise pas, c'est un peu moins grave qu'un chirurgien sur une table d'opération qui se dit: "je fais quoi, maintenant?", ironise-t-il avec cette pointe d'humour qui caractérise chacune de ses réponses. Au pire, ça attend un mois de plus!»

«Ce qui est merveilleux, dans ce métier, c'est de pouvoir le faire avec une certaine insouciance», ajoute-t-il.

Marc Levy concède qu'au fil des ans, l'écriture est devenue, professionnellement, sa raison d'exister, sa joie. «C'est dans l'écriture que j'ai fini par trouver, à l'âge de 39 ans, mon identité.»

Or, c'est sa famille qui est au coeur de son existence, et qui lui manque quand il est en déplacement aux quatre coins de la planète pour la promotion de ses romans, traduits en plus de 40 langues. «S'il arrivait quelque chose à mes enfants, la musique s'arrête. Alors que si je n'écris pas pendant 15 jours, un mois, je survis. Je ne suis pas dans cet état d'urgence absolue... mais je ne m'en sens pas moins écrivain», conclut-il, les yeux brillants et le sourire aux lèvres.

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La dernière des Stanfield. Marc Levy. Robert Laffont/Versilio. 464 pages.

EXTRAIT : 

« Je pourrais expliquer à qui veut l'entendre que mon enfance fut difficile ; ce serait un mensonge et je n'ai jamais su mentir.

Ma famille est du genre dysfonctionnelle, comme toutes les familles. Là aussi, il y a deux clans : celles qui l'admettent et celles qui font semblant. Dysfonctionnelle, mais joyeuse, parfois presque trop. Impossible de dire quoi que ce soit sur un ton sérieux à la maison sans se faire brocarder. Il y a une volonté absolue chez les miens de vouloir tout prendre avec légèreté, même ce qui est lourd de conséquences. Et, je dois l'avouer, cela m'a souvent rendue dingue. »

image fournie par Les Éditions Robert Laffont

La dernière des Stanfield