Les bananiers ploient sous le vent tiède qui souffle en provenance du lac Tanganyika, des pélicans passent au-dessus de nos têtes, les haies de bougainvilliers bordent l'impasse où jouent les enfants du quartier.

Petit pays nous transporte au Burundi, nous transporte un quart de siècle en arrière, nous plonge dans ce que cet autre pays des mille collines avait de meilleur. Et de pire.

Les cadavres trouvés dans les caniveaux au petit matin, les carcasses de voitures calcinées, le son des tirs de blindés AMX-10, parce que «j'avais appris à reconnaître leurs notes sur la portée musicale de la guerre qui nous entourait», assure Gabriel.

Premier roman du Rwando-Français Gaël Faye, Petit pays raconte par la bouche d'un enfant le Burundi des années 90, alors que naissait une guerre civile qui allait durer une décennie.

Porté par une langue riche et colorée, le récit ressuscite «un monde oublié» qui n'apparaît «dans aucun récit littéraire», a expliqué Gaël Faye au cours d'un entretien téléphonique avec La Presse.

L'auteur de 34 ans, qui a lui-même grandi au Burundi, voulait revisiter les souvenirs de l'enfance qu'il a connue avant que le conflit n'embrase le Burundi et le Rwanda voisin.

«Je me souvenais d'avoir eu une enfance heureuse avant la guerre.»

L'idée de ce roman est ainsi née d'une certaine forme de nostalgie, ou plutôt de «la saudade, l'expression cap-verdienne de Cesária Évora», un «mélange intraduisible» de douce nostalgie et d'espoir, confie Gaël Faye.

En résulte un récit puissant et accessible, «ancré dans la réalité», dans la chronologie des événements historiques, mais complètement fictif.

Car si Gabriel ressemble à plusieurs égards à Gaël Faye, Petit pays n'est «pas du tout autobiographique», insiste son auteur.

Il se souvient de son incompréhension de la crise dans laquelle s'enfonçait le Burundi de son enfance. «Gabriel, lui, il va saisir les choses, il va comprendre ; moi j'ai compris bien plus tard. Je lui prête ma lucidité d'adulte, à cet enfant.»

L'histoire se répète

Petit pays, qui évoque un Burundi en proie à une crise sanglante, arrive sur les tablettes alors que le pays connaît un nouveau cycle de violences, depuis avril 2015, donnant ainsi raison à Gabriel qui, dans le livre, affirme que «la paix n'est qu'un court intervalle entre deux guerres».

«On assiste à la plongée du Burundi dans le pire», s'alarme Gaël Faye, évoquant «une guerre à basse fréquence» faite de meurtres et de disparitions, sur fond de clivage ethnique.

Cette question ethnique est d'ailleurs une «fabrication» qu'il dénonce par l'absurde dès le prologue du roman, dans une scène où le père de Gabriel explique à son fils que les Hutus et les Tutsis ont le même pays, la même langue, le même dieu et que s'ils se font la guerre, c'est simplement «parce qu'ils n'ont pas le même nez».

Gaël Faye voyait cependant bien au-delà du Burundi en écrivant Petit pays.

«L'idée, c'est de mettre un prénom sur des statistiques », dit-il, soulignant que Gabriel devient dans le roman « un réfugié, un immigrant».

«Avant d'être des migrants, ce sont des enfants, des hommes, des femmes qui avaient des vies aussi banales que les nôtres.»

Petit pays a reçu il y a 15 jours le Goncourt des lycéens, prix décerné par un jury de 2000 adolescents de la francophonie, dont des élèves d'une école de Montréal qui se sont rendus en France pour rencontrer son auteur.

«Ils m'ont dit des choses extraordinaires, ils m'ont parlé de Gabriel en me disant: "On vient de Montréal, du Canada, mais Gabriel, c'est comme notre petit frère, on le voit comme un ami, [...] on s'est sentis au Burundi", s'émeut Gaël Faye. C'est très fort pour moi, ce sont des mots qui résonnent très fort.»

Son roman a également remporté plus tôt cet automne des prix décernés par les libraires Cultura et par la FNAC, grande chaîne française de magasins de livres et de disques, en plus d'avoir été en lice pour pratiquement tous les prestigieux prix littéraires français: Goncourt, Renaudot, Médicis, Interallié, Femina, et le Grand Prix du roman de l'Académie française.

Petit pays. Gaël Faye. Grasset, 224 pages.

Image fournie par Grasset

Petit pays, de Gaël Faye