Philippe Claudel rend hommage à un être cher disparu dans son roman L'arbre du pays Toraja. Il y célèbre l'amitié, la vie et leurs arborescences.

L'homme est une île, mais chez les Toraja d'Indonésie, il est aussi une grotte ou un arbre. On y célèbre un mort pendant des jours, puis on l'installe à demeure dans un «habitat naturel». Tout près et pour toujours.

«L'arbre est une métaphore multiple dans ce roman, explique Philippe Claudel, de passage à Montréal et au Salon du livre de Québec la semaine dernière. Nous sommes tous des arbres qui accueillons en nous des présences disparues.»

Le romancier-cinéaste français n'écrit jamais le même livre. La disparition de son éditeur Jean-Marc Roberts, emporté par le cancer il y a trois ans, aura tout de même inspiré son essai Jean-Bark en plus de son plus récent roman.

«C'est comme si Jean-Bark était le documentaire et L'arbre du pays Toraja, la fiction sur la même matière. C'est aussi une façon de montrer comment des éléments de la vie d'un auteur se transforment et deviennent des matières romanesques.»

Les racines de cet arbre fouillent les thématiques du corps, du vieillissement, de l'amour et de l'amitié, celle qui change la vie. 

«Qu'est-ce qui fait que deux personnes sont amies? Ça suppose quoi, ça se nourrit et ça marche comment? Un roman, c'est une réponse à une question que l'on se pose. À partir d'un noyau sensible autobiographique, ce qui m'intéresse, c'est d'élargir le périmètre en faisant en sorte que cette histoire ne soit pas que la mienne, mais puisse aborder le général.»

«C'est aussi l'histoire d'un homme qui est entre deux amours, poursuit-il, qui n'ose plus aimer. Le narrateur se construit en négatif de son meilleur ami qui était amoureux perpétuellement. Il faut que son ami meure pour qu'il s'ouvre à l'amour d'une femme plus jeune.»

Dépouillement

Le lauréat du prix Renaudot 2003 (Les âmes grises) et du Prix des libraires du Québec 2008 (Le rapport Brodeck) signe donc un roman vivant, très vivant même, au sujet de la mort. 

Phrases courtes, style dépouillé, un peu comme dans La petite fille de Monsieur Linh (2005). On y trouve moins de pittoresque ou d'envolées stylistiques et peu de personnages: le narrateur, son ex-femme Florence, sa nouvelle flamme Elena et, évidemment, l'ami Eugène. 

«C'est un quartet, quelque chose de plus resserré. Ce qui m'intéressait c'était de construire un narrateur qui n'est pas un écrivain, mais un homme d'images, un cinéaste. Il voit comment la langue peut être très libre, plus que le cinéma. C'est ce que je pense. Ça arrive souvent dans mes romans. Le narrateur découvre le pouvoir de l'écriture.»

Après une trentaine de bouquins, on pourrait croire que Philippe Claudel possède ce pouvoir sur le bout des doigts. Mais non. 

«J'ai plein de projets, mais en même temps, je me demande si je ne devrais pas arrêter. J'aime bien être dans l'incertain, l'inconfort. Je doute toujours. Il y a plein de livres que j'écris que je ne publie pas. Pour que je fasse quelque chose, il faut que je sente que c'est absolument nécessaire.» 

Le corps

Il continue d'écrire des livres malgré tout parce qu'il reste «ébahi par la complexité humaine». L'arbre, c'est aussi une réflexion sur le corps et la maladie.

«Si, à chaque stade, on renégocie le contrat qu'on a avec notre propre corps, on peut bien le vivre. Si on est dans la recherche perpétuelle d'une jeunesse qui s'évapore, là c'est douloureux. Qu'est-ce qui fait qu'on tombe malade? Le narrateur constate que le cancer a fondu sur Eugène au moment où celui-ci n'était plus amoureux et n'était plus aimé. Le narrateur se dit qu'il y a des moments de grande vulnérabilité où l'on accueille en soi ce qui va nous faire mourir.»

Mais la mort peut créer la vie, d'autres amitiés, d'autres amours. 

«Depuis la mort de Jean-Marc Roberts, je suis devenu assez proche de deux personnes avec lesquelles il était proche. Sa mort nous a réunis. C'est assez rigolo. Même si le livre se questionne sur des sujets graves, c'est un livre de vie, de célébration des vivants. C'est un livre qui va vers la sérénité. Ce n'est pas parce que la mort prélève son dû autour de nous qu'il faut s'arrêter d'être dans l'appétit et la jouissance de la vie.»

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L'arbre du pays Toraja. Philippe Claudel. Stock, 216 pages.