Dans City of Thorns, Ben Rawlence raconte la vie au sein de Dadaab, le plus grand camp de réfugiés au monde, situé dans le nord du Kenya. Une cité de fortune dont les habitants, pratiquement prisonniers, sont en attente d'un monde meilleur. Sans savoir si ce monde viendra un jour. La Presse s'est entretenue avec l'auteur de ce livre bouleversant.

C'est une ville qui ne figure pas au sommet des palmarès des lieux où il fait bon vivre. Une ville qui n'en est pas une, en fait. Vous l'avez peut-être vue à la télévision lorsque Angelina Jolie et Scarlett Johansson l'ont visitée. Il s'agit de Dadaab, le plus grand camp de réfugiés au monde.

Situé dans le nord du Kenya, en plein désert, ce camp devait être un lieu temporaire où les Somaliens iraient se réfugier pendant que leur pays était déchiré par la guerre civile. Près de 25 ans ont passé. Depuis, les tentes se sont multipliées, des maisonnettes de fortune ont été érigées et le camp a étendu ses tentacules. Aujourd'hui, comme dans une vraie ville, Dadaab compte des commerces, des rues, une organisation politique. Les habitants se sont bricolé un semblant de vie. On ne passe pas sa vie à attendre...

Avant de devenir journaliste, Ben Rawlence a travaillé pour Human Rights Watch. Il a fréquenté Dadaab et ses habitants, a observé comment ils vivaient. Jusqu'au jour où il a décidé d'écrire un livre pour raconter ce qu'il voyait. De Guled, l'ancien enfant soldat kidnappé par les milices islamistes, à Kheyro, qui rêve de terminer ses études, Rawlence brosse le portait de neuf habitants de Dadaab à travers qui nous découvrons la vie du camp de l'intérieur. Nous avons joint l'auteur chez lui, au pays de Galles.

Vous avez commencé à travailler sur votre livre il y a quatre ans, à une époque où on ne parlait pas beaucoup des réfugiés dans les médias. Qu'est-ce qui vous a motivé à écrire ce livre?

Je trouvais incroyable que les gens ne connaissent pas ce camp. Comme vous dites, on ne parlait pas autant des réfugiés qu'aujourd'hui. Or, il y avait des gens qui traversaient déjà en Grèce et en Italie, mais ils étaient moins nombreux. Je voulais donc parler de la réalité des réfugiés en espérant qu'il y ait un écho qui se rende jusqu'aux organismes et aux individus qui prennent les décisions politiques et économiques qui ont un impact sur ces gens.

Au moment où on se parle, quelle est la situation à Dadaab?

On y retrouve environ 300 000 réfugiés (le camp avait été prévu pour 90 000 personnes. En 2011, il en comptait un demi-million). On compte environ 1000 naissances chaque mois. C'est une ville très cosmopolite, plus que la plupart des villes africaines de la même taille. Il y a toute une économie qui est basée sur les 25 à 30 millions de dollars de biens qui sont passés en contrebande chaque année. Avec le temps, les gens ont créé des choses : il y a des restaurants, un cinéma, un hôtel, une librairie, des arrêts de bus... Dadaab est composé de six camps et chaque camp a ses représentants élus et ses leaders jeunesse. Il y a une vie politique.

Pourquoi les gens ne partent-ils pas de Dadaab?

Ils ne peuvent pas. Tout ce qu'ils peuvent faire, c'est retourner en Somalie. Or la plupart des habitants du camp viennent du Sud et la situation ne s'est pas améliorée. On leur interdit en outre de rester au Kenya. S'ils sortent du camp, ils seront arrêtés par la police. La route est bloquée, ils ne peuvent pas passer. Il faut un document et pour avoir ce document, il faut soudoyer un policier. Ça coûte cher, environ 100 $. Ils n'ont pas cet argent alors ils sont en quelque sorte prisonniers du camp.

Pourtant, plusieurs personnes ont un emploi au camp...

Oui, il y a par exemple des gens qui enseignent auprès des travailleurs des organisations humanitaires. Mais ce sont des travailleurs volontaires et on les paie presque rien, 70 ou 80 $ par mois tout au plus, alors que les enseignants, eux, reçoivent un vrai salaire. Toute la vie du camp repose sur le travail des habitants du camp qui est, en fait, soyons honnêtes, de l'esclavage. C'est interdit et c'est illégal. Les droits des réfugiés ne sont pas reconnus au sein du camp.

Comment expliquez-vous que les réfugiés du camp ne se révoltent pas?

Leur statut est incertain, ils ne veulent pas attirer l'attention pour les mauvaises raisons. Or chaque fois qu'il y a un acte terroriste dans la région, la police visite le camp et accuse les réfugiés. Ils sont toujours les suspects numéro un. On les torture, on les viole. Je le répète, les réfugiés sont censés avoir des droits, mais il n'y a aucune structure en place pour accueillir leurs plaintes et faire valoir leurs droits. Ces gens ont été des victimes toute leur vie. Certains espèrent être relocalisés au Canada ou aux États-Unis, ils ne veulent pas risquer de nuire à leur dossier en se plaignant de quoi que ce soit.

Comment expliquer qu'on tolère ça?

C'est difficile à comprendre. Le problème, c'est qu'il n'y a pas une grande histoire à vendre aux médias autour du camp Dadaab. En 2011, par exemple, il y avait une famine dans la région. Voilà un problème clair, facile à expliquer. Mais l'histoire du camp de Dadaab, c'est une multitude d'histoires. La vie du camp est difficile à saisir.

Quelle est la solution, selon vous?

L'ONU doit augmenter les budgets du camp, les gens reçoivent la moitié de leur ration, ils sont en train de mourir de faim. Ça ne peut pas continuer ainsi. Il faut de l'argent et ensuite, il faut une discussion sur l'avenir de ce camp.

Si ces neuf personnes se sont confiées à vous, c'est qu'elles ont un espoir que leur situation change, que votre livre ait un impact?

Bien sûr, c'est naturel d'espérer. Elles savent bien que le livre ne les aidera pas individuellement, mais qu'il fera peut-être mieux connaître la réalité du camp et la situation des gens qui y vivent. Elles sont au courant ce qui se passe, vous savez. Elles ont Facebook au camp. Elles ont même pu voir des images du lancement de mon livre...

___________________________________________________________________________

City of Thorns: Nine Lives in the World's Largest Refugee Camp. Ben Rawlence. Random House, 384 pages.

Image fournie par la maison d'édition

City of Thorns, de Ben Rawlence