Sans que ça s'ébruite - «c'est l'art du camouflage», dit-elle aujourd'hui en souriant -, Florence K a connu une véritable descente aux enfers de septembre 2011 à mars 2012. Dans son livre Buena Vida, elle raconte ses «essais de tentatives de suicide» et son internement auquel elle a résisté, mais qui l'aura finalement aidée à vaincre ses démons.

Aujourd'hui encore, Florence K n'est pas prête à revoir les images du voyage à Cuba qu'elle a dû écourter juste avant son internement dans la section High Care de l'aile psychiatrique d'un hôpital anglophone montréalais en janvier 2012. Par contre, elle s'est revue à l'émission Salut, Bonjour! enregistrée peu de temps auparavant, alors qu'elle était au plus bas.

«Ça ne paraît pas, mais je m'étais coupé les veines la veille», dit la chanteuse de 32 ans dans un café du Plateau où elle nous a donné rendez-vous pour parler de son livre-témoignage Buena Vida. «Je me coupais avec des rasoirs, mais j'arrêtais toujours avant que ça devienne trop sérieux, ajoute-t-elle. Je me sentais tellement poche de ne même pas être capable de me suicider pour vrai. Mourir, dans ma tête, c'était rendre service à l'humanité.»

Comment une jeune mère que la vie comblait, une artiste dont les chansons ensoleillées semaient la bonne humeur en est-elle venue à faire des psychoses et à vouloir se donner la mort? Si elle tient de ses parents la passion de la musique et des voyages, ce n'est qu'au début de son internement que Florence a appris de la bouche de sa mère qu'il y avait également dans son héritage familial des antécédents de dépression, d'alcoolisme et de suicide dont elle avait vaguement entendu parler.

«Je me suis vraiment demandé quel pourcentage venait de mon ADN. On ne le saura jamais. Mais j'ai fait l'effort de chercher.»

Vers la fin de son livre, elle énumère d'autres causes possibles de sa chute: sa tendance à fuir devant les obstacles et à s'étourdir dans l'action - son obsession de «l'agenda noirci» - ainsi qu'une émotivité à fleur de peau amplifiée par son métier d'artiste.

Pourtant, quelques jours à peine après sa sortie de l'hôpital, elle remontait sur scène au Centre Segal. «Je voulais me prouver que j'étais capable de faire quelque chose, dit-elle aujourd'hui. Mais je tremblais comme une feuille. La tête est fragile mais le corps aussi: c'est comme si tu t'étais fait rouler dessus par un rouleau compresseur.»

Une excessive

Après avoir réintégré la société, Florence K a craint une rechute. Pour éviter de retomber dans le trou noir, elle a assisté à quelques réunions des Dépendants affectifs anonymes et des AA. Elle s'est également inscrite à un certificat en psycho et elle s'est investie dans le yoga, qu'elle enseigne aujourd'hui.

Un peu excessive, la dame?

«Complètement, répond-elle sans hésiter. J'avais survécu à la mort, j'étais invincible, je voulais profiter de la vie et j'avais besoin de toutes sortes de plaisirs possibles. J'étais shopaholic, j'étais addict à mon chum. Ça m'a coûté cher: j'ai dû vendre ma maison 14 mois plus tard. J'avais tout flambé. Je n'étais pas idiote, c'était incontrôlable.»

Son entourage lui aurait bien conseillé de décélérer s'il n'avait pas été aussi soulagé de la voir tout le temps de bonne humeur, croit-elle: «Quand t'as vu ta fille essayer de se mettre une corde au cou pendant six mois et que tu la vois super heureuse...»

Au sortir de ses six mois d'enfer, elle s'est même demandé si elle n'abandonnerait pas la musique, qui était devenue davantage un travail qu'une passion. Quand, à l'automne 2013, elle a lancé son album I'm Leaving You, fait aux États-Unis avec le réalisateur Larry Klein, elle était «à moitié là», avoue-t-elle. Malgré ses sonorités parfois très pop, ce disque-là représente toujours une période immensément triste dont elle est incapable de le dissocier.

Plus encore, ce n'est qu'en 2015 qu'elle a renoué avec «le feeling» que lui procurait sa musique avant cet épisode douloureux de sa vie. Même si elle a recommencé à écrire des chansons, c'est en redécouvrant le plaisir d'être une interprète qu'elle a commencé depuis peu à se considérer comme une «vraie chanteuse».

Le déclencheur? Le spectacle en hommage à Piaf créé aux dernières FrancoFolies et qui sera bientôt présenté en tournée québécoise.

«Il s'est passé quelque chose quand j'ai chanté Mon Dieu [d'Édith Piaf, aux FrancoFolies]. Je me suis dit: OK, je suis peut-être une vraie chanteuse dans le fond.»

C'est aussi l'interprète en elle qui a enregistré cet été un album de standards de jazz avec le chanteur Matt Dusk et un orchestre symphonique qui devrait paraître au printemps 2016.

Mieux outillée

Pourquoi écrire un récit aussi intime alors que son entourage l'avait mise en garde contre le tabou de la maladie mentale qui peut rapidement faire dérailler une carrière?

Pour aider quelqu'un, quelque part, aux prises avec les mêmes démons et qui se sentirait isolé, répond-elle d'abord. Elle reconnaît également que la rédaction de Buena Vida a eu un effet thérapeutique.

«Mais ça, je m'en suis rendu compte après l'avoir écrit parce que, dans ma tête, ma thérapie était faite, dit-elle. Quand j'ai eu fini de l'écrire, j'ai commencé à m'assumer comme je ne l'avais jamais fait avant dans ma vie [...]. C'est fou parce que, dans ma tête, c'est comme si cet épisode de ma vie avait été plus important que tout le reste, y compris la maternité. C'est pour ça que je l'ai écrit, je pense.»

On ressort de la lecture de Buena Vida avec la nette impression que la jeune femme est mieux outillée pour faire face à la vie.

«Ce livre, c'est un peu un mal pour un bien, acquiesce Florence K. Mais personne ne devrait avoir à passer par là pour être bien après. Je me suis demandé pourquoi, contrairement à d'autres comme Robin Williams ou L'Wren Scott, je n'étais pas passée à l'acte. Il y a un fil qui m'a tenue. Mais si j'avais été aux États-Unis que j'avais eu un gun dans ma table de chevet, je serais probablement morte. C'est pas mal plus facile que de te tailler les veines jusqu'à ce que mort s'ensuive ou de te pitcher en bas d'un pont.»

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Buena Vida. Florence K. Éditions Libre Expression.

Quelques extraits

L'internement

«C'est en septembre que tout a déboulé. À la vitesse de la lumière. Une avalanche, puis j'ai fini par aboutir dans une chambre qui a tout d'une cellule de prison, avec des graffitis sataniques sur le mur, des trucs écrits grossièrement au Sharpie, du genre «Pills will make you crazy», et des voisins que l'on attache à leur lit lorsqu'ils crient trop. Super. Vraiment. Génial. Bravo, Florence, tu t'es bien débrouillée. Toi qui voulais vivre toutes sortes d'aventures dans ta vie, chapeau, tu as réussi. Attends que cela se sache, que cela s'apprenne. La folie, c'est tabou.»

L'effet de la musique

«Les patients du Normal Care se sont rassemblés autour du piano. Ils battent des mains, chantent, disent «Bravo, encore!», m'encouragent à continuer. Alors, je reprends. Je chante un peu plus fort. Ma voix suit. Ça me motive encore plus. J'ai un public extraordinaire. Je joue du swing. Ils dansent. Un vieil homme qui a déjà été rabbin et qui me bénit chaque fois que je traverse le corridor pour fumer se met à battre la mesure et à chanter. Le visage d'un schizophrène qui a habituellement l'air complètement éteint s'éclaircit. Il sourit. La musique fait son effet. Je suis son messager. Je joue de plus belle.»

L'envie d'un métier

«Je regrette d'avoir choisi d'être une artiste, d'avoir toujours laissé mes émotions guider mon quotidien et mon travail, d'être à la merci d'une sensibilité exacerbée, de n'avoir pas choisi un métier stable, un métier où on sait ce qu'on a à faire, un métier normal, un métier avec des tâches claires et précises, un métier qui ne nous expose pas à l'opinion publique, un métier qui n'est pas tourné exclusivement vers celui qui le pratique, en faisant le centre de l'univers, un métier où notre business, ce n'est pas notre look, notre style, notre voix, nos gestes, notre corps, nos pensées, notre allure. Un métier décollé de soi.»

La souffrance

«Je m'assois à mon bureau. Je prends une feuille de papier. Il faut que j'écrive que ce n'est pas que je veux arrêter de vivre, mais plutôt que je veux arrêter de souffrir, de vivre dans un univers parallèle aux beautés de ce monde, qu'il faut que ça cesse, qu'une telle existence devient impossible, insoutenable, que ça fait des mois que j'attends que ça change et que rien ne change. Jamais. Je l'écris. Je rédige. Je rédige des mots pour ma fille. Des mots pour mes parents. Ce n'est pas que je ne les aime pas. C'est que je ne m'aime plus. Plus du tout.»