Comme Mouammar Kadhafi, Yasmina Khadra est bédouin, musulman, arabe, maghrébin et ex-militaire. Avec une même passion pour son pays. L'écrivain a même voulu embrasser une carrière politique en 2013 quand il a essayé, en vain, de se présenter à l'élection présidentielle algérienne.

On comprend donc que Yasmina Khadra ait pu être fasciné par ce «Guide de la révolution libyenne» arrivé au pouvoir lors d'un coup d'État en 1969. Après la mort très médiatisée de Mouammar Kadhafi le 20 octobre 2011, il a décidé d'écrire La dernière nuit du Raïs, son premier roman historique, qui aborde les derniers moments du chef d'État, en arabe le Raïs.

Le romancier a rédigé son livre à la première personne, comme si Kadhafi racontait en direct ce qu'il vit et ressent. Le Raïs revient ainsi sur sa vie et ses combats tandis que tout s'effondre autour de lui. Véritable tragédie, le roman décrit l'homme de démesure qu'il a été. Tyrannique, implacable, mégalomane et manipulateur, il se prenait, écrit Yasmina Khadra, pour un «visionnaire infaillible né d'un miracle», une «légende», une «mythologie faite homme».

Ayant bénéficié de précieux témoignages, le romancier raconte comment Kadhafi s'est forgé un caractère rebelle et agressif après avoir perdu son père, combien il a été un coureur de femmes, un politicien intransigeant, à la fois fou et lucide, qui n'a jamais hésité à faire disparaître ses détracteurs.

En cette rentrée littéraire, Yasmina Khadra explique pourquoi et comment il a choisi de se plonger dans la peau de Kadhafi.

Comment est né ce projet de roman?

Kadhafi m'a toujours interpellé au plus profond de moi-même. Pour nous les Maghrébins et pour la jeunesse arabe, il a été notre espoir. Il a constamment vécu avec nous, dans nos têtes et dans nos débats. Moi-même, je n'ai pas beaucoup aimé sa fin. Ce lynchage terrible. Aucun être humain ne mérite de finir de cette façon.

La vie et la mort de Kadhafi en font un personnage romanesque...

Oui, je n'avais pas besoin de chercher dans mon imaginaire pour construire le livre. Il fallait juste être assez connaisseur du facteur humain pour mieux le décrire et le raconter. J'ai construit le roman sur la structure de la tragédie, un peu comme je l'ai fait pour Les hirondelles de Kaboul.

Comment vous êtes-vous documenté sur Kadhafi?

J'ai obtenu des anecdotes que seuls ses proches pouvaient connaître, car j'ai eu la chance de rencontrer, au début des années 80, à Moscou, un colonel libyen qui a été mon ami et qui m'a raconté beaucoup de choses sur Kadhafi.

Ça n'a pas été trop ardu de se mettre dans sa peau sans le caricaturer ni le glorifier?

C'était un défi, un effort titanesque, surtout pour un romancier qui a toujours cohabité avec des personnages issus de son imaginaire. Mais l'histoire était dans ma tête depuis des années. Je l'ai écrite d'une traite, comme dans une sorte de délire. J'étais confiant, car j'ai été en mesure d'être le plus proche possible de la vérité.

Kadhafi avait-il deux visages?

Non, mais il pensait avoir une mission salutaire pour son peuple et les peuples arabes, comme s'il avait eu une feuille de route tracée par le Seigneur lui-même. Tous ceux qui s'opposaient à cette feuille de route devenaient des ennemis de Dieu et il s'en débarrassait sans état d'âme, par nécessité. Il n'exerçait pas la violence pour la violence, mais, pour lui, l'idéal de toute une nation était beaucoup plus important que la vie d'un homme. On m'a quand même dit que, parfois, il pleurait quand il pensait aux gens qu'il avait fait exécuter.

Dans votre livre, vous n'épargnez aucun détail...

Il faut être juste avec le lecteur et ne pas essayer de le manipuler. Il faut lui proposer un maximum de repères pour qu'il décide quel personnage il doit retenir. J'ai préféré faire comprendre un homme plutôt que de le juger.

Vous suivez l'actualité en Libye aujourd'hui. Comment voyez-vous l'avenir de ce pays?

Je suis très préoccupé. L'Occident pensait s'attaquer à un État, mais l'État, c'était un homme, pas une nation. Kadhafi parti, la nation s'est effritée et est retombée dans le piège tribal. Kadhafi avait colmaté les tribus. Si un gouvernement ne se forme pas rapidement, la gangrène pourrait se répandre dans toute l'Afrique du Nord et même en Afrique subsaharienne.

Vous aviez évoqué les dangers de l'islamisme radical dans Les agneaux du Seigneur, en 1998. Vous songez à écrire une suite de ce roman?

Vingt ans après, le personnage de Zane [le nain] continue de me persécuter. Il veut une suite! Zane est un personnage qui m'a dérangé. Je pensais le faire disparaître à chaque chapitre et, à la fin, c'est lui qui a eu le dernier mot. Comme si mon personnage m'avait vaincu. C'était la première fois qu'un personnage m'échappait totalement.

Allez-vous venir au Salon du livre de Montréal cette année?

Je ne sais pas. J'ai un problème avec la procédure. Au printemps dernier, j'étais invité en Acadie. Quand j'ai présenté mes papiers, on a exigé de moi un autre document, ce que j'ai trouvé humiliant et j'ai renoncé à venir. Pour venir au Canada, on nous place dans une annexe avec les demandeurs d'emploi. Il faudrait un minimum de correction peut-être... Le Canada est le seul pays où j'ai des difficultés. Je suis allé en Chine et à Cuba, mais avec le Canada, c'est dommage...

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La dernière nuit du Raïs. Yasmina Khadra. Julliard, 216 pages.