Journal d'un étudiant en histoire de l'art est le 10e livre en 20 ans de Maxime Olivier Moutier, cet écrivain qui n'est pas certain de l'être. L'auteur et son narrateur sont certains d'une chose, cependant: l'art change la vie.

Maxime Olivier Moutier exagère. Tout le temps. Sérieusement, drôlement. C'est sa façon de raconter une histoire que ce soit en entrevue on en pratiquant son art, l'autofiction.

«Je n'ai pas voulu être écrivain dans la vie, dit l'artiste et psychanalyste. L'autofiction, ce n'est pas de la littérature, mais une expérience de soi. C'est une performance que tu fais avec ton corps, avec ton être. Tu te commets là-dedans, mais ce n'est pas narcissique. Je ne parle pas de moi. J'utilise des mots, mais je m'identifie plus aux artistes contemporains. Je trouve plus tripant ce qu'Anish Kapoor fait que ce que font les écrivains aujourd'hui.»

Dans son Journal d'un étudiant en histoire de l'art, qui lui a pris 200 000 heures, le narrateur a une femme, deux maîtresses, 298 enfants, pendant que des escargots géants dévorent les policiers. 

«Je me sors de moi là-dedans. Moi, je suis un homme sérieux qui s'occupe de ses enfants, lave la vaisselle et fait la cuisine.»

«Dans mes livres, je m'invente une autre vie. Avec des ancrages très réels, réalistes. Je veux que cela ait l'air vrai. Entre ça, je brode.»

Entre hyperréalisme et délire, donc, le roman décrit la vie d'un papa fatigué de nager seul, qui trouve dans l'art une bouée salvatrice.

«C'est l'idée d'apprendre quelque chose, dit-il, de sortir de soi quand on souffre. C'est psychanalytique aussi. La psychanalyse, c'est mettre au savoir sa souffrance. La solution, tu dois la construire. Le narrateur choisit de faire des études plutôt que de rester à ne rien faire avec sa souffrance.»

Découvrir, savoir

On tourne les pages de ce récit pétri d'autodérision en partageant la joie de la découverte d'artistes ainsi que des histoires, de l'art et des civilisations. Le plaisir d'apprendre. Pas de connaître les derniers potins, mais le plaisir qui demande un effort. Le narrateur et l'auteur s'intéressent aux artistes qui choquent et déséquilibrent.

«Les artistes qui m'intéressent sont ceux qui décident dans leur vie de faire des trucs complètement différents des autres, inattendus, subversifs. Des objets weird. Ce sont des marginaux qui s'opposent à la société standardisée. Ça me soulage de voir qu'il y a des gens qui font ces choix-là dans la vie.»

Pas pour l'argent, ni même pour la reconnaissance. Pour l'art, pour le risque aussi. La controverse importe peu, toutefois, si l'acte est signifiant.

«L'artiste chinois qui mange un foetus, je n'ai pas eu le temps de l'expliquer dans le livre, mais c'est cohérent de le faire dans l'histoire de l'art. C'est pas juste un freak. L'art, il faut l'expliquer. Il y a une part intellectuelle à ajouter.»

«Ceux qui ne comprennent pas l'art contemporain, c'est qu'ils le regardent avec les yeux des années 60. L'artiste contemporain ne cherche pas à être aimé. C'est cool, ça.»

Gagner sa vie

Maxime Olivier Moutier travaille toujours comme intervenant en centre de crise en plus d'exercer la psychanalyse pour gagner sa vie.

«Les gens sont fuckés, malheureux. C'est mon monde. Nos contemporains souffrent beaucoup. C'est pas l'Afrique, mais on a des problèmes existentiels à savoir comment on va se réaliser soi-même. Il y a quatre suicides par jour au Québec dans un pays où l'on a tout. C'est quoi, le problème?»

L'art, croit-il, peut représenter une solution. Il est tout aussi essentiel au narrateur du Journal qu'à son auteur. Mais il n'est pas nécessairement facile d'approche. Apprendre est une construction, un travail.

«À un moment donné, ce n'est plus difficile d'apprendre. Ça devient un plaisir. J'aime ça lire des trucs pas parce que je suis un intellectuel, mais parce que j'aime apprendre. Lacan disait que l'ignorance est une passion. Les humains ne veulent pas apprendre. Ils veulent rester ignorants. Qu'est-ce que ça change de lire un livre? Ils disent qu'ils savent ce qu'ils ont à savoir, qu'ils sont allés à l'école de la vie et ils ont un jugement sur tout. Mais tu peux, aussi, choisir de savoir plus de choses.»

Chercher, fouiller, analyser. Maxime Olivier Moutier a de qui tenir. Son père était peintre. Cet homme exagérait peut-être aussi en s'arrêtant sur l'autoroute pour regarder les nuages.

«Faire de l'art fait de l'air. Il y a autre chose que La fureur et Tout le monde en parle. Il y a des trucs pas comme les autres, différents. Il y a des humains qui font d'autres choix que d'être avocat, comptable ou de travailler de neuf à cinq.»

Cinq artistes fétiches de Maxime Olivier Moutier

> Ron Mueck 

«J'aime l'hyperréalisme. Ron Mueck joue dans le quotidien, la réalité. Il travaille sur les dimensions, évidemment, mais tous les éléments sont hyperréels, la bouche, les cheveux, les yeux.»

> Christo 

«Je trouve ça génial de faire ses projets comme il les faisait avec Jeanne-Claude et comment il continue de les faire. J'aime aussi sa façon de financer ses projets en vendant ses croquis.»

> Gordon Matta-Clark

«Au Québec, on est reconnus dans ce domaine, les interventions et les performances. L'Américain Gordon Matta-Clark coupait les maisons en deux. C'était une intervention dans la réalité. Le quidam se demande s'il a la berlue. Ce petit moment change la vie.»

> Rafael Lozano-Hemmer

«Au Québec, j'aime David Altmejd, Marc Séguin et Rafael Lozano-Hemmer, que je trouve super génial. Entre autres, son oeuvre au MAC en 2011 avec les faisceaux lumineux, les gens s'arrêtaient sur le bord de la route pour les admirer!»

> Richard Estes

«J'aime les minimalistes comme Donald Judd ou Richard Serra, mais surtout l'hyperréalisme. En peinture, Richard Estes peignait des choses ordinaires, comme une vitrine. Il disait: à la Renaissance on peignait des portraits, nous, maintenant, on peint des trucs contemporains.»

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Journal d'un étudiant en histoire de l'art. Maxime Olivier Moutier. Marchand de feuilles, 457 pages.