Lorsqu'il a compris qu'il réussirait le pari de sociofinancer son premier roman, Julien Roy a commencé à préparer son départ de Québec. Le moment ne pouvait être mieux choisi pour le rédacteur publicitaire et blogueur qui venait de terminer un contrat avec une radio de la capitale. Il a vendu tous ses meubles et sous-loué son appartement pour passer les mois suivants dans le chalet d'un ami à Stoneham, «seul dans le bois» à ébaucher Gabriel est perdu.

«Je ne voulais pas garder les mêmes stimuli et rester devant mon ordinateur, sinon j'allais virer fou!» L'appel à «vivre autre chose» et à voyager pour nourrir son univers était pressant, raconte le jeune homme de 31 ans, rencontré dans un café du Mile End, où il vit depuis un an, entre deux allers-retours à Québec.

Après Stoneham, Julien Roy a passé quelques semaines à Montréal puis s'est envolé pour l'Europe, qu'il a parcourue pendant deux mois tout en noircissant des pages pendant ses phases créatives. «La créativité, c'est un cycle qu'il faut apprendre à gérer», croit-il.

Paris, Copenhague, Berlin, Barcelone, Londres, Amsterdam... «J'ai visité les classiques», se souvient-il, songeur.

«Quand je vois le livre, je me rappelle la dernière année. C'était une belle période dont je garde un beau souvenir.»

Amsterdam et son musée du cinéma EYE se sont d'ailleurs frayé une petite place dans l'histoire de Gabriel, «pour montrer la chute plutôt trash» de sa relation avec Fannie, fil conducteur du roman. «On voit simplement des pans de leur relation, son côté sombre et leur dynamique malsaine, sans tomber dans le cliché de la chicane.»

Amour destructeur

Julien Roy n'a guère eu besoin de sombrer dans l'autofiction ou de s'inspirer de cas réels pour décrire cette relation typique d'une génération prédisposée à l'expérimentation, et pour laquelle les rencontres sont tout aussi fréquentes que les ruptures.

«Aujourd'hui, on a plusieurs relations, mais on vit avec un genre de romantisme sous-jacent, avec l'idée que chaque relation va être déterminante.» Un romantisme qui tire ses origines, à son avis, des séries télé, de la littérature, des films. La première rencontre entre Gabriel et Fannie lui a d'ailleurs été inspirée inconsciemment par la série américaine pour adolescents Dawson's Creek, lui qui a grandi sous l'influence de la télévision et qui n'a aucune honte à revendiquer son appartenance à la «génération Watatatow».

La passion que vivent Gabriel et Fannie n'a pourtant rien d'idyllique. Alors que ses amis le mettent en garde contre cette fille - «ces filles-là ont de l'héro plein les veines, ça devient dur de décrocher», le prévient Alex -, Gabriel ne voit rien venir.

«L'amour est un jeu dangereux. Particulièrement quand on enfreint les règles», écrit Julien Roy dans Gabriel est perdu.

«Les gars sont peut-être plus sentimentaux, plus idéalistes aujourd'hui», concède Julien Roy. D'autant plus que les jeunes doivent composer avec les pièges de l'internet qui vient semer la bisbille dans les relations amoureuses, comme en témoigne la crise de jalousie causée par la découverte d'un courriel et qu'il décrit sans pudeur dans son roman. «On est dans la lune de miel de notre relation avec la technologie, mais on commence à en voir les côtés négatifs et pernicieux», soutient l'auteur.

Écriture 2.0

Tout, dans Gabriel est perdu, rappelle d'ailleurs cette influence latente du web: le style saccadé, les phrases courtes, la structure et la mécanique complexe du roman, savamment orchestrés de manière à entretenir un rythme haletant au fil du récit. Julien Roy n'hésite pas non plus à utiliser un langage cru, des jeux de mots et des métaphores frappantes, et à insérer quelques vers de poésie entre les chapitres. «Le livre représente beaucoup plus mon style que mon blogue et ce que je veux faire maintenant, alors que le blogue était ce que je voulais faire avant», explique Julien Roy.

Son blogue In the 10's, dont le nom fait à la fois référence aux années 2010 et au film Midnight in Paris de Woody Allen, se veut d'ailleurs une réflexion sur la technologie et l'impression de proximité avec les autres qu'elle nous donne. Mais il admet que le «format» l'intéresse beaucoup moins aujourd'hui qu'à l'époque de sa création, il y a deux ans.

«L'aspect "réponse immédiate" [du blogue] influence beaucoup le créateur. À force de voir les gens "liker" et partager, tu finis par adapter ton contenu à ce qui marche. C'est extrêmement dangereux, selon moi, en termes créatifs, parce que tu finis par créer ce que les autres attendent de toi. C'est un cercle vicieux.»

Julien Roy a rapidement vu que tout ce qu'il écrivait sur les «relations de couple» était beaucoup mieux reçu sur la Toile que la poésie «déjantée» qui lui plaît tant.

Sa rencontre avec le fondateur de La Ruche, un site de sociofinancement qui fait la promotion de projets mettant en valeur la ville de Québec, a donc été la bouée qui lui a permis de franchir le pas vers l'écriture d'un roman. 

«Je ne pense pas que Gabriel est perdu aurait vu le jour sans La Ruche. Non seulement [le sociofinancement] m'a accordé la liberté de pouvoir travailler et me concentrer à temps plein sur mon roman, mais il a attiré l'attention sur le projet et m'a poussé à le faire.»

Sa prochaine aventure, il espère que ce sera un deuxième roman. Son «désir de réécrire» est plus vif que jamais. Mais Julien Roy prend les choses une à la fois et réfléchira longuement avant de s'attaquer à la prochaine page blanche.

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Consultez le blogue de Julien Roy: www.inthe10s.ca

Gabriel est perdu. Julien Roy. XYZ, 164 pages.