Journaliste respecté qui a travaillé dans plusieurs grands médias, de la revue L'Actualité à l'émission Enquête où il travaille toujours, Luc Chartrand est aussi à ses heures auteur de romans. Il publie cet hiver L'affaire Myosotis, thriller politique qui se déroule en Israël et en territoires palestiniens, et où manipulation, complot et religion sont au coeur de l'action.

Dans ce dédale explosif se faufile Paul Carpentier, héros de son premier roman, Code Bezhenti, sorti... en 1998. «On ne peut pas dire que je suis en surproduction et que je vais brûler mon marché, hein?», sourit Luc Chartrand, qui a pris une année sabbatique de son poste à Radio-Canada pour écrire L'affaire Myosotis.

«J'ai exploré beaucoup d'idées entre les deux livres, ajoute-t-il, mais rien ne tenait vraiment la route. Avant de décider de m'arrêter un an, j'ai attendu que ce soit mûr.»

Les premiers germes de ce livre sont apparus lorsqu'il a couvert l'opération militaire d'Israël à Gaza en 2009. II s'est retrouvé un jour sur les lieux d'une «tragédie assez terrible», où plusieurs dizaines de membres d'une même famille palestinienne avaient été tués. «On marchait sur le sang des morts, comme j'avais dit dans mon reportage. Ça a été un des plus graves incidents de la guerre de 2008-2009. J'ai eu l'intuition à l'époque que j'écrirais un roman, pas sur ça exactement, mais dans ce contexte.»

L'affaire Myosotis s'ouvre d'ailleurs avec cette scène de massacre. «C'est le point de départ et le moteur du roman: un crime de guerre est commis, et des gens puissants essaient de l'étouffer. C'est un combat pour la justice qui se livre.»

Paul Carpentier, ex-journaliste installé en Israël avec sa femme Rachel, «échappée» d'une communauté juive hassidique québécoise, et leur fils David, en pleine crise identitaire, se retrouve mêlé à cette quête par hasard, après s'être lancé sur la piste du meurtre d'un fonctionnaire canadien à Gaza. Une piste que bien des gens haut placés aimeraient mieux ne pas le voir suivre. Devenu ennemi public numéro un, poursuivi par les services secrets israéliens et surveillé de près par des intérêts israélo-canadiens aux tentacules bien longs - jusque dans le gouvernement canadien -, Paul Carpentier n'est plus en sécurité nulle part.

Avec un sujet aussi sensible et constamment rattrapé par l'actualité, Luc Chartrand sait bien qu'il avance sur un terrain potentiellement explosif. «Toucher au conflit israélo-palestinien, qu'on soit journaliste ou romancier, c'est de la nitroglycérine. Mais j'ai toujours aimé la nitroglycérine et ça ne me gêne pas. En même temps, le but de ce livre est de raconter une bonne histoire, dans un environnement complexe où il y a toutes sortes d'intrigues. Et Israël est un univers qui porte à ça.»

Son immense connaissance de la région - il y est allé une bonne quinzaine de fois, en connaît «tous les camps, toutes les factions de tous les camps, à tendance religieuse ou pas» - lui a permis d'écrire une histoire non pas neutre, mais nuancée. Par exemple, autant Paul Carpentier est la cible de forces obscures, autant il trouvera sur son chemin des gens prêts à l'aider.

«Je ne crois pas avoir écrit un livre manichéen. Ce n'est pas tout noir ou tout blanc en Israël, ce n'est pas une société monolithique. Il y a là-bas, par exemple, beaucoup de citoyens qui sont investis dans la lutte pour les droits des Palestiniens et qui demandent qu'on fasse la lumière sur les crimes de guerre commis pendant les opérations militaires.»

Un jeu

Pour Luc Chartrand, un bon thriller politique doit être capable de faire naviguer ses personnages dans un univers qui est inspiré de la réalité, mais qui n'est pas la réalité. «Si certains font des liens entre la réalité et mon livre, je les laisse faire», dit-il en souriant, expliquant, par exemple, que le gouvernement canadien qu'il décrit est «tout à fait fictif».

«Mais il se situe dans un contexte documenté où Ottawa est en ce moment un allié indéfectible d'Israël. C'est ça le jeu: j'envoie mes situations dans un univers qui est proche de la réalité, et en même temps, qui décroche et vit de sa propre façon.»

Il faut quand même être un peu paranoïaque pour écrire ce genre de livre, non? «Dans mon travail de journaliste, je n'ai jamais embarqué dans les théories du complot. Mais c'est le moteur du thriller politique: le lecteur doit terminer la lecture en se demandant ce qui est plausible là-dedans et ce qui ne l'est pas, où passe la ligne entre la réalité et la fiction.»

Influencé par des auteurs comme John Le Carré - «Je trahis mon âge en disant que j'ai commencé à lire des thrillers politiques avec Robert Ludlum» -, Luc Chartrand aime bien mettre son héros dans la position la plus difficile qui soit, toujours plus en danger, toujours plus isolé. «L'histoire de l'homme traqué, seul contre tous, j'ai toujours adoré ça comme lecteur. C'est ce que j'avais fait dans mon premier roman, c'est ce que j'ai refait ici.»

Et ce qu'il refera peut-être un jour? «Ah, je ne sais pas», dit celui qui estime que «le combat le plus difficile» pour un journaliste qui écrit un roman est... de ne pas être un journaliste. «On n'a pas l'obligation de tout expliquer comme romancier. Et on peut faire passer l'information dans des réflexions, des perceptions.»

Il attendra donc que mûrisse une autre idée porteuse avant de se relancer dans l'écriture - ce qui devrait tout de même arriver un jour. «Mais là je ne sais pas quoi, quand, comment. Et puis j'ai toujours mon travail à Enquête, qui est prenant et passionnant. Disons que je ne suis pas pressé, mais que je sais que la tentation reviendra.»

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L'affaire Myosotis. Luc Chartrand. Québec Amérique. 472 pages.