Sur la route 351, entre Shawinigan et Saint-Mathieu-du-Parc, un immense panneau offre l'image d'une nouvelle Nathalie Simard à bord d'une carriole tirée par des chevaux. Avec son sourire engageant, elle invite les gens à la cabane à sucre Chez Nathalie.

Nous sommes loin du Village de Nathalie où la petite Simard faisait courir les foules des centres commerciaux de la province. Reste que depuis l'ouverture de la cabane, le 14 février, Nathalie ne compte pas les autocars bondés provenant de Sorel, du Saguenay ou de Gatineau qui, toutes les fins de semaine, remplissent le stationnement de l'ancienne érablière Hill.

Nathalie sourit sur le panneau comme elle sourit à tous les clients qui se pressent à sa cabane, même si le chemin qui l'a menée à déposer armes et bagages en Mauricie a été une route cahoteuse parsemée d'embûches et d'échecs. Pendant les 10 dernières années, Nathalie Simard a été à la dérive. Littéralement.

C'est Lévis Guy, son mari, qui m'ouvre la porte du bâtiment qu'il a passé l'été à rénover et à agrandir. Pendant que j'admire la vaste et chaleureuse salle à manger avec sa petite scène et son poêle à bois, où une bûche se fait dévorer par les flammes, Nathalie émerge de ses quartiers privés.

Elle est vêtue d'un pull lie de vin, d'un pantalon noir et de bottes de corsaire qui la grandissent de plusieurs pouces et affinent sa silhouette encore ronde malgré ses efforts pour perdre du poids.

Pas de pardon



Le 25 mars 2004, il y a 11 ans, Guy Cloutier était arrêté à son condo de L'Île-des-Soeurs et accusé d'agression sexuelle sur une mineure, dont on apprendrait l'année suivante qu'elle avait pour nom Nathalie Simard. Ironie du sort, c'est aujourd'hui, le 25 mars, que Nathalie lance à sa cabane à sucre son nouveau livre, Les chemins de ma liberté.

Nathalie jure qu'elle n'a pas fait exprès de choisir la date de l'arrestation de Guy Cloutier pour son lancement. Pourtant, quand elle a découvert ce malheureux hasard, elle n'a pas cherché à changer la date. Si ça se trouve, la coïncidence lui a fait un petit velours.

Car, malgré les 30 années écoulées depuis les agressions, malgré le procès et la peine de prison dont a écopé son agresseur, Nathalie Simard en veut toujours beaucoup à Guy Cloutier. Elle ne lui a pas pardonné. «Cet homme m'a volé mon innocence, mon enfance et ma virginité», affirme-t-elle rageusement dans Les chemins de ma liberté.

Dans Briser le silence, publié en 2005 par Québecor sous la plume du défunt Michel Vastel, Nathalie semblait avoir tout dit sur ses agressions et son agresseur. Le livre a connu un succès phénoménal, s'écoulant à près de 300 000 exemplaires. Le capital de sympathie dont jouissait la chanteuse était sans fond et celle-ci semblait promise à un avenir enfin radieux.

Pourtant, dans les faits, la publication du livre a marqué le début d'une spirale infernale pour la chanteuse. Dépression, faillites, poursuites, ruptures, déboires financiers, artistiques et amoureux, idées suicidaires, les échecs n'ont cessé de s'accumuler.

Sa tournée de spectacles a été annulée, faute de billets vendus. La boutique de vêtements qu'elle a ouverte pour sa fille a fait faillite. L'ex-femme de son mari l'a poursuivie et a fini par perdre la cause, mais au bout d'interminables procédures. Nathalie et son mari sont tombés entre les griffes d'un gourou arnaqueur qui a failli avoir leur peau.

Puis, ils se sont brouillés avec les partenaires financiers du Marché aux puces de Wickham. Même si le marché était leur idée, ils en ont été chassés comme des malotrus. Le Marché a finalement fermé ses portes et le frère de Lévis, qui était un des bailleurs de fonds, s'est suicidé. La Fondation de Nathalie Simard pour venir en aides aux victimes d'agressions, dans laquelle Québecor a versé 100 000$, a fermé ses portes dans la controverse et les rumeurs de fraude.

Tant et si bien que tout le capital de sympathie dont jouissait la chanteuse au moment de sa dénonciation a fondu comme neige au soleil.

Dans le prologue du livre Les chemins de ma liberté, écrit par une plume non identifiée et publié aux Intouchables, Nathalie expose ses plus récents malheurs: «Depuis 2005, j'ai déménagé des dizaines de fois... Jusqu'à tout récemment, j'habitais avec mon chum et ma fille chez des amis, je squattais littéralement leur maison et nous dormions sur des matelas à même le sol. À 45 ans, je n'avais pas de chez-moi et je vivais dans mes valises, perdant un peu plus de mes maigres biens et de mon histoire à chaque nouveau déménagement. J'étais un modèle d'instabilité et c'était catastrophique... Ce fut une longue débarque, une dérive qui dura dix ans. Je commence à peine à voir la lumière au bout du tunnel.»

Encore debout



Nous avons pris place à une des longues tables en rondins de la salle à manger. Lévis Guay s'est assis à côté de Nathalie, la couvant du regard et affirmant à plusieurs reprises qu'elle est la femme de sa vie.

Ils sont ensemble depuis huit ans et semblent sincèrement amoureux l'un de l'autre. N'empêche. Puisque la vie de Nathalie va mieux et que la lumière est de retour, pourquoi a-t-elle choisi de revenir sur les douloureux événements passés que tout le monde connaît? Pourquoi encore faire le commerce de cette sordide histoire?

«Parce que je suis une personne publique, répond Nathalie, et que depuis quelques années, le public et mes amis me disent qu'ils ont de la misère à me suivre. J'ai voulu leur expliquer ce qui m'était arrivé, comment j'avais touché le fond avec ma dépression, mais aussi comment j'ai survécu et pourquoi je suis encore debout.»

Debout, Nathalie l'est, c'est vrai. Debout, malgré les blessures et les marques indélébiles que Guy Cloutier a laissées sur son corps, mais aussi sur son âme. En l'agressant, il a fait en sorte que Nathalie ne sache pas se protéger contre les arnaqueurs qui n'ont cessé de croiser sa route et vers lesquels elle allait tout naturellement, ne connaissant rien de mieux.

En la regardant assise au milieu de la salle entièrement rénovée, où elle chante à l'occasion la fin de semaine avec son frère Régis, je ne peux m'empêcher de me demander ce que Nathalie Simard serait aujourd'hui si elle n'avait jamais connu Guy Cloutier.

«Je déteste ma face. Ma face de Nathalie Simard. J'aurais tellement voulu être une autre. Peut-être une prof de maternelle. J'ai toujours aimé m'occuper des enfants. En même temps, je suis une chanteuse. J'ai ça dans le sang.»

Nathalie Simard ne sait pas vraiment qui elle serait si elle avait vécu une enfance normale. Peut-être une femme anonyme comme ses deux soeurs Lynne et Odette. Peut-être une chanteuse malgré tout, comme son frère René qu'elle voit rarement et qu'elle ne semble pas porter dans son coeur.

Il y a 10 ans, Michel Brûlé, l'éditeur des Intouchables, est venu lui proposer de publier son premier livre. Elle raconte qu'il a sorti un chèque sur lequel il avait inscrit une grosse somme pour la convaincre. Elle dit que le geste l'a froissée. En même temps, Québecor lui avait sans doute déjà fait une offre qu'elle ne pouvait refuser.

Elle raconte dans le livre comment sa décision de révéler son identité de victime sur la place publique a été motivée par le contrat de cinq ans qu'elle venait de signer avec Québecor et non pas par un désir de transparence: «Un projet de livre et une grande entrevue étaient envisagés... Pour que ces différents projets fonctionnent, il fallait d'abord que soit levée l'ordonnance de non-divulgation de mon nom.»

«La génération du silence»



Cette fois-ci, Nathalie a préféré aller vers Les Intouchables, notamment parce qu'entre-temps l'éditeur a publié les mémoires de son père avec qui Nathalie s'est réconciliée avant sa mort, en 2010.

Le sujet m'amène à lui parler de sa mère, dont il n'est pas une seule fois question dans les deux livres. Ce sera le seul moment de l'entrevue où les larmes lui monteront aux yeux. «Ma mère, je l'aime et je veux la laisser tranquille. Elle est de la génération du silence et du tabou. Quand Cloutier débarquait avec son gros char et son gros manteau de fourrure, elle ne pouvait rien faire. Elle était intimidée et démunie.»

Dans Les chemins de ma liberté, Nathalie ne tait plus le nom de Guy Cloutier comme dans son premier livre. Et dans un passage particulièrement glauque, elle relate les gestes précis et obscènes qu'il a commis à son endroit. Bien que ce dernier ait payé ses dettes à la société, elle lui en veut à mort d'exister, d'en mener encore trop large dans le milieu du showbiz, selon elle, et de vivre «la grosse vie dans son château des Laurentides».

«C'est un être que je voudrais oublier, mais ce n'est pas possible. Il m'a marquée à vie, mais il ne m'empêchera plus de me tenir debout. Le pire est passé, le meilleur est à venir», dit-elle avec une volonté farouche de passer à une autre étape de sa vie.

Y réussira-t-elle? Malgré sa haine de Guy Cloutier? Malgré sa tendance à toujours blâmer les autres pour ses malheurs? Malgré un destin souvent placé sous le signe de la tragédie?

C'est la question à laquelle son livre ne répond pas, même s'il se termine sur une note positive. Il y a enfin de la lumière au bout du tunnel pour Nathalie Simard. Mais il faudra attendre encore quelque temps avant d'être assurés que ce n'est pas la lumière d'un train qui va venir une fois de plus faire dérailler sa vie.

Les chemins de ma liberté

Nathalie Simard

Les Intouchables

Photo fournie par l'éditeur