Dans le roman Des mille et une façons de quitter la Moldavie, tout le monde veut se larguer du village de Larga. Son auteur Vladimir Lortchenkov, aussi, a quitté le pays. Il vit à Montréal. Pour l'instant...

Vladimir Lortchenkov est un Russe qui a vécu une grande partie de sa vie en Moldavie. Ses parents sont russes et un peu plus. Il a aussi des ancêtres polonais, serbes, moldaves et roumains.

L'auteur de 35 ans a déjà publié 14 romans en russe. Des mille et une façons de quitter la Moldavie est le premier traduit en plusieurs langues, dont le français. Le livre avait été retenu pour la première liste du prix Médicis en langue étrangère cette année.

Des mille et une façons de quitter la Moldavie est la deuxième partie d'une trilogie, dont le troisième tome sera publié en français l'an prochain et le premier tome... en 2016. La vie de Vladimir Lortchenkov, faut-il dire, ressemble à un roman. Son roman ressemble à la vie en Moldavie, assure-t-il.

«Il n'y a pas d'avenir en Moldavie. Les Moldaves sont d'éternels rêveurs, toujours dans les nuages. Ils sont romantiques. Il n'y a pas de ressources dans ce pays. Il vaudrait mieux cesser les souffrances du peuple et unir la Moldavie à n'importe quel pays», explique le romancier avec son accent rocailleux.

Le livre, qui décrit les péripéties de Moldaves qui souhaitent quitter leur pays pour l'Italie, mais reviennent toujours au point de départ comme des Sisyphes modernes, lui a valu un interrogatoire en règle du procureur général en Moldavie.

«La police est venue m'arrêter à mon appartement, raconte-t-il, mais comme c'est si souvent absurde là-bas, ils n'avaient pas vérifié que je venais de le vendre. Ils ont défoncé la porte pour fouiller les lieux. Les gens qui avaient acheté étaient en veillée funéraire! Quand je l'ai su, j'ai appelé la police pour leur demander pourquoi ils ne m'avaient pas tout simplement appelé au téléphone.»

Grotesque et surréaliste

Bienvenue en Absurdistan! Son roman est fortement teinté par le grotesque et le surréalisme à la moldave. Ancien journaliste d'enquête - notamment au sujet de la corruption dans l'armée -, Vladimir Lortchenkov se savait menacé en Moldavie. Quand il a vu la guerre civile éclater en Ukraine, le pays voisin, il a décidé de partir.

«Pour être 100% Moldave, croit-il, il faut toujours vouloir quitter la Moldavie. C'est dans les gènes. C'est drôle, mais c'est comme ça. La Moldavie est un melting pot à l'américaine, une grande casserole où tout se mélange. Les gens s'en vont. Il y a un exode. La population atteint quatre millions d'habitants, mais la diaspora moldave compte déjà 1,5 million de personnes.»

L'auteur se décrit comme un écrivain russe apatride et francophile, même s'il aurait préféré, jeune, apprendre l'allemand. Dans un parcours aussi atypique, Montréal est apparu comme une option puisqu'il se dit «accro» à la langue française. Il vit ici depuis quatre mois avec sa femme et ses deux enfants.

«La ville est charmante, la vie y est agréable, mais il fait trop froid! Si je trouve un bon travail, nous resterons», fait-il en nouant son foulard.

Choses étranges

Autre bizarrerie dans ce roman parlant de certains Moldaves qui transforment un tracteur en avion, puis en sous-marin, tandis que d'autres suivent un prêtre illuminé vers la terre promise qu'ils ne verront jamais, le livre porte des titres différents selon les pays: Milk and Honey ici, Le tracteur volant là.

«C'est comme ça», fait l'auteur en haussant les épaules.

Voilà quelqu'un, se dit-on, qui en a vu des choses étranges dans sa vie. Voilà quelqu'un qui peut bien posséder une imagination débordante. Mieux vaut en rire qu'en pleurer.

«Je suis une sorte de médiateur entre l'absurde, le mystère et l'immatériel, explique-t-il. C'est ça, l'art. Mais il y a beaucoup de réel dans le livre. Par exemple, il y a vraiment eu en Moldavie, pas de curling comme dans le roman, mais une équipe féminine de hockey subaquatique. Elles sont venues à un tournoi au Canada et elles ont demandé l'asile politique.»

Son prochain livre, dont le titre de travail est Je me souviens, traitera de la Moldavie, de la Russie et du Québec.

«Ici au Québec, ça m'a surpris combien il y a de règles et de responsabilités. C'est l'atmosphère des années 80 en Union soviétique. Vous êtes contrôlés. C'est un mot un peu fort, mais vous n'êtes pas tout à fait libres, disons. Tandis que la caractéristique la plus importante des Moldaves c'est qu'ils ne respectent pas les lois. Ils ne veulent pas se soumettre aux règles.»

Dans la marge, celle des nomades, insoumis, même s'ils voyagent sans bouger parfois. Chercher et avancer en tournant un peu en rond.

«C'est la métaphore de la vie. Dans tous les cas, nous allons mourir. Pourquoi continuer? C'est la nature humaine. C'est triste et beau à la fois. C'est pourquoi j'écris. C'est la meilleure façon que j'ai trouvée pour dissiper les nuages de l'existence.»

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Des mille et une façons de quitter la Moldavie. Vladimir Lortchenkov. Mirobole éditions, 250 pages.