Dans son nouveau livre très personnel, Pascal Bruckner rompt le silence et dévoile son enfance à l'ombre d'un père antisémite, nazi et violent. Un récit cru et difficile pour celui qui estime que la Seconde Guerre mondiale est le «grand roman familial français».

Le livre s'ouvre sur la prière du soir de Bruckner enfant: «Mon Dieu, je vous laisse le choix de l'accident, faites que mon père se tue.» À l'âge où l'on craint le plus de perdre ses parents, Pascal Bruckner faisait le rêve éveillé de perdre son géniteur. Sa prière ne sera pas exaucée et, jusqu'à la fin, comme un bon fils, il ne laissera pas tomber ce père terrible, dont les crises de colère quotidiennes auront créé en lui une «passion constante» pour la peur.

Le père décrit dans Un bon fils inspire le dégoût. Il battait sa femme et son fils, se vantait d'avoir travaillé volontairement pour l'Allemagne nazie, et n'a jamais cessé de gruger son os antisémite. Le fils, lui, se détournera de son héritage allemand pour se tourner vers la culture anglo-saxonne. Car même dans ses défauts, il ne voit que la médiocrité de ce père, qui s'en est bien tiré après la Libération.

«On voudrait toujours être fier du bourreau, note-t-il. On se dit que s'il avait été un vrai bourreau, on aurait pu le haïr sans aucune espèce de remords. Il avait des opinions abjectes et en même temps, c'était un être fragile, parfois médiocre. J'avais souvent pour lui de la compassion, une «tendresse navrée«comme je le dis dans le livre.»

On écrit sur son père soit pour le venger, soit pour se venger, la plupart du temps. Mais pour Pascal Bruckner, ce livre est plus de l'ordre de la mise au point. «Je ne pouvais faire ça que quand mon père serait parti, dit-il. Une manière pour moi de me décharger d'un secret. C'était aussi une façon d'avoir une perspective sur ma propre vie. Mais pour l'instant, je le défends avec un reste de culpabilité. Parfois, je rêve que mes parents sont assis à une table et me disent: «Pourquoi as-tu raconté ça?»On ne se dépêtre jamais complètement de ses liens. Je ne sais pas pourquoi, mais cette sortie de livre m'a épuisé. Je pense que c'est une fatigue nerveuse, comme si j'avais révélé un secret qui devait rester enfoui.»

Le bon côté de la culpabilité

La culpabilité, Bruckner connaît. C'est même l'une de ses obsessions intellectuelles, l'essayiste s'étant penché sur le sujet dans Le sanglot de l'homme blanc ou La tyrannie de la pénitence. «Un psychanalyste dira que j'ai voulu expier, écrit-il. Sans nul doute: ce n'est pas un hasard si je travaille depuis 30 ans sur la culpabilité occidentale et les méandres du repentir.»

Et c'est précisément cette culpabilité qui a fait de lui un «bon fils», en quelque sorte, puisqu'il avoue qu'il n'aurait pas pu se pardonner s'il avait abandonné son vieux père. «C'est l'ambivalence de la culpabilité, explique-t-il. Elle peut être un sentiment qui nous empêche de vivre, mais elle nous retient aussi d'accomplir l'irréparable. Je serais mort de honte d'avoir laissé cet homme qui m'a quand même élevé, qui a manifesté de l'amour pour moi; pour tout vous dire, c'était même inconcevable. Le remords prend plusieurs formes et il peut avoir des aspects très positifs...»

Pourtant, jamais ce père n'aura manifesté la moindre culpabilité, ni envers sa femme, ni envers son fils, ni envers l'Histoire. «Il n'a jamais reconnu que ma mère avait été l'objet de sa colère permanente et de sa méchanceté. Au contraire, jusqu'au dernier jour, il n'a pas arrêté de dire que l'Histoire allait reconnaître qu'il avait raison. Jamais il n'a reconnu la moindre faute, il a considéré que ma mère était folle, il m'a même expliqué qu'en 1939, elle aurait été gazée parce qu'épileptique. Voilà qu'à la fin de sa vie, il envoyait sa femme carrément dans les chambres à gaz. Tout cela n'augurait rien de bon pour moi, je me suis dit qu'on était très loin du dénouement dont j'avais rêvé. S'il m'avait dit une seule fois qu'il s'était trompé, qu'il avait été violent envers ma mère, je lui aurais tout pardonné et je crois que nous serions tombés dans les bras l'un de l'autre.»

Éloge des lumières

Mais il n'y a pas que du mauvais dans cette histoire. Dans Un bon fils, Pascal Bruckner fait un éloge des lumières qui lui ont permis de s'évader de la «prison familiale». Cela a d'abord été par les livres, qui l'ont sauvé, écrit-il. Puis, dans le Paris de mai 68, où il s'est trouvé des pères de substitution - Sartre, Barthes, M. Bloch, qu'il nomme ses «éveilleurs».

Et un frère, fils unique comme lui: Alain Finkielkraut, avec qui il écrira le célèbre Nouveau désordre amoureux. Dans cette passion amicale, ils se voyaient comme Lennon et McCartney... Avec l'inévitable séparation. Selon lui, leur principal point de divergence aujourd'hui concerne leurs visions de l'avenir; pessimiste pour Finkielkraut, optimiste pour lui.

Assez étonnant qu'avec un si mauvais départ dans la vie, Bruckner ne soit pas un désespéré. Peut-être parce que le monde aura été plus clément que l'enfer familial? «C'est peut-être pour cela, oui. Au fond, j'ai appris à me sortir d'une situation difficile, et je me dis que ce qui a été possible à un niveau individuel à un enfant doit l'être encore plus au niveau collectif. Je crois dans la capacité de l'être humain de surmonter ses problèmes. En vieillissant, je deviens de plus en plus optimiste.»

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Un bon fils. Pascal Bruckner. Grasset, 251 pages.

Extrait Un bon fils

«Le décor s'installe, je connais cette dramaturgie par coeur. La tension monte insensiblement, à la manière d'une fièvre. Un incident doit dégénérer en tempête, l'ouragan se lève. Tous les tracas, les humiliations de la semaine vont se ramasser dans la scène du dimanche. C'est notre sabbat à nous. Mon père a besoin d'exploser.»