La prolifique et populaire Dominique Demers est de retour avec un roman qui rend hommage à la résilience et à l'émerveillement. En librairie depuis hier, Pour que tienne la terre, qui contient le secret millénaire et fragile des baleines, est un appel pour «la suite du monde».

Toujours lumineuse, Dominique Demers. Et cela, même si elle vient de perdre son père. «La vie, la mort, les baleines... tout arrive en même temps», résume-t-elle.

Ce père était un collaborateur de longue date dans le travail de recherche qu'elle fait chaque fois qu'elle écrit, et ce fut le cas dans Pour que tienne la terre, son nouveau roman pour adultes, qui a donné à l'ancienne journaliste devenue écrivaine ses plus belles entrevues en carrière, affirme-t-elle. Avec un psychiatre et un ancien chasseur de baleines.

«Parfois, je me dis que je ne suis pas tant que ça écrivaine, car il y a tellement de vérités dans mes livres, puisque les gens déposent en moi des secrets très précieux.»

Pour que tienne la terre est une histoire qui se déroule en 1950, à Tadoussac. Un roman à trois voix, une narration inspirée par Il pleut des oiseaux de Jocelyne Saucier, avoue l'auteure, qui a eu un coup de coeur pour ce roman et qui considère Saucier comme sa petite fée pour sa propre création.

Gabrielle, femme terriblement blessée, est de retour dans son patelin où elle fera la rencontre de Thomas, un vieil homme qu'on surnomme «le fou des baleines» et de Harold, psychiatre fasciné par cet excentrique qui mène la vie dure aux chasseurs de cétacés.

En colère

Impossible de ne pas penser au personnage de son conte Vieux Thomas et la petite fée, récit pour enfants couvert de prix et devenu un classique depuis sa parution en 2000. Thomas est en colère contre le monde entier, mais il sauve la vie d'une minuscule petite fille échouée sur ses rivages. Dans Pour que tienne la terre, il sauvera Gabrielle du désespoir, en quelque sorte, elle qu'on surnommait «lutine» dans son enfance.

Mais d'où vient ce Thomas récurrent dans l'oeuvre de Dominique Demers? D'un poème.

Demers a appris auprès de sa mère, professeure de diction, quantité de poèmes. Dans l'un d'eux, il y avait «un vieux bonhomme aux tempes blanches qui venait déposer sous les branches du pain pour les petits oiseaux», récite-t-elle de mémoire. «Je le porte dans mon coeur depuis que j'ai 8 ans», dit l'écrivaine avec un sourire.

Mais elle n'avait jamais réussi à expliquer à ses jeunes lecteurs pourquoi Thomas était en colère contre le monde entier. C'est dans Pour que tienne la terre que son passé est dévoilé. Thomas est un homme abîmé par les horreurs de la Première Guerre mondiale qui a développé une aversion absolue envers l'acte de tuer, ne serait-ce qu'une fourmi. Ancien chasseur de baleines repentant, il passe sa vie à les observer et à les protéger des humains prédateurs. C'est un écologiste avant la lettre, considéré comme fou par ses contemporains, mais visionnaire, au fond, estime Dominique Demers.

Le souffle de la baleine

Dominique Demers est bien sûr allée observer les baleines à Tadoussac. «Mon moment fort, c'est quand j'ai entendu le souffle d'une baleine bleue. J'ai pleuré. Tout ce que j'avais lu, tout ce qu'on m'avait raconté, je l'ai compris, physiquement. Ça nous fait nous demander si on ne croit pas en Dieu. Car j'étais placée devant ce qui nous dépasse comme être humain, qui est toujours lié à la planète.»

La nature est indéniablement importante dans l'oeuvre de Dominique Demers. Par contre, elle a dans ce roman et dans la vie un parti pris pour l'être humain, ce qui fait un peu défaut à Thomas, mais pas à Gabrielle.

L'écologie humaine

Pour que tienne la terre est aussi le récit de la souffrance des parents, qui ne souffrent jamais plus que lorsque leurs enfants souffrent. À ce sujet, la blessure de Gabrielle est à la mesure du gigantisme des baleines. Pour Dominique Demers, la sensibilité écologique ne peut faire abstraction de ce qu'elle nomme l'écologie «humaine».

«Ça me frappe qu'il y ait des gens qui se battent très fort pour le recyclage, pour les espaces verts, mais qui sont méchants avec les êtres humains. Si on protège la nature mais qu'on n'est pas bons entre nous, ça va éclater de toute manière. L'équilibre du monde passe par là, et par les baleines, qui nous enseignent la douceur, malgré le fait qu'elles sont immenses.»

On le comprend, Dominique Demers n'appartient pas au clan des cyniques et des blasés.

«Je suis inquiète, mais pas cynique. Je crois à l'émerveillement. Tant qu'il y aura l'émerveillement, nous serons capables de nous dépasser. C'est nécessaire. On ne peut pas créer une oeuvre ni trouver de solutions sans se dépasser, et pour cela, il faut avoir avalé une lumière. Pour moi, c'est comme dans la chanson Tue-moi de Dan Bigras; si je ne m'émerveille plus, je veux partir.»

Extrait Pour que tienne la terre

«Elle a surgi dans un fracas de tonnerre à trois pieds de moi. Son jet m'a éclaboussé le visage de petites perles d'eau. Ma vieille amie, ma Belle Bleue. Elle s'est arrachée de ses occupations mystérieuses dans les entrailles du monde pour remonter jusqu'à moi. Si j'ai pas bougé, c'est moins pour pas l'effrayer que par grand respect. Depuis nos premières retrouvailles, il y a plus d'un quart de siècle maintenant, j'ai jamais tenté de m'imposer. Je la laisse gouverner nos rencontres, satisfait de vivre dans l'attente de ses surgissements glorieux. J'engouffre ces minutes de bonheur comme elle engouffre le krill. Pour la survivance. Et pour la suite du monde.»

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Pour que tienne la terre, Dominique Demers, Québec Amérique, 432 pages.