Auteur prospère avec ses polars vendus à plus d'un million d'exemplaires, l'écrivain britannique R.J. Ellory était de passage récemment à Montréal. La Presse l'a rencontré, avec sa femme Vicky, pour parler de son plus récent roman, Mauvaise étoile. Mais très bon suspense!

Toujours étrange, discuter avec un écrivain d'une traduction d'un de ses romans alors même qu'il en a publié d'autres depuis en anglais.

Mais cette situation ne dérange pas Ellory d'un poil roux de sa barbe: il est manifestement ravi d'avoir des lecteurs francophones. Et puis, Mauvaise étoile occupe une place à part dans son oeuvre, il le reconnaît.

«C'est une des questions que les journalistes francophones n'hésitent pas à me poser, soit le caractère un peu autobiographique du livre: oui, ce sont deux frères de pères inconnus, dont la mère meurt dans des conditions difficiles et qui sont envoyés dans un orphelinat. Comme nous l'avons vécu, mon frère et moi. Il y a certainement des sentiments et des faits que nous avons éprouvés là-dedans. Sauf que nous n'avons jamais été enlevés par un tueur en série!»

Car c'est ce qui arrive aux demi-frères Elliott et Clay: par une série de coïncidences malheureuses - toute leur vie est d'ailleurs une suite sans fin de coïncidences malheureuses! -, les deux jeunes garçons deviennent les otages d'un psychopathe fini, Earl Sheridan, qui leur fera vivre un terrifiant road movie. Un voyage initiatique sanglant qui transformera la vie, déjà terrible, des deux garçons - et qui mettra fin à la vie de bien d'autres, sur la route qui mène d'Hesperia (Californie) à Eldorado (Texas)...

Campée aux États-Unis (comme tous les polars d'Ellory), l'histoire se déroule en 1963, après la mort de Kennedy, mais avant la science du profilage, avant les avancées technologiques médico-légales, avant l'omniprésence de la télévision dans les foyers américains, etc.

Les quasi-collisions

Mauvaise étoile est aussi une réflexion sur la violence qui contamine littéralement tout sur son passage et le refus de multiplier les morts anonymes comme le font films et jeux d'action. «En décrivant dans le livre ces gens qui vont mourir - ou peut-être pas, c'est là qu'est tout le suspense - à cause d'un déséquilibré, je savais que les lecteurs deviendraient nécessairement sensibles à ces personnages dits secondaires», explique Ellory, qui suit avec passion les téléséries de l'heure, dont House of Cards.

Mauvaise étoile de R.J. Ellory, Sonatine, 537 pages

Enfin, grâce à quelques pointes de poésie, Mauvaise étoile est aussi une ode aux petites brunettes! «Le personnage de jeune fille dans Mauvaise étoile, celui de Bailey Redman, est l'un de ceux auxquels je suis le plus attaché. Et ce n'est pas un hasard si c'est une petite brunette, dit Ellory en désignant de la main sa femme. Même chose pour la femme du policier Cassidy, Alice, une petite brunette qui est le personnage le plus intelligent que j'ai jamais créé dans un de mes romans.»

«Pour Bailey, comme pour les deux frères et tous les personnages du livre, la rencontre avec le psychopathe va servir de catalyseur, car cette rencontre va les façonner en profondeur, à jamais, reprend Ellory. Mais je voulais aussi parler des near miss (quasi-collisions), de ceux qui échappent aux effets du catalyseur, souvent sans même le savoir. Parce que ça existe aussi, l'échapper belle.

«Le 23 décembre dernier, raconte-t-il, Vicky a voulu éviter un renard sur la route [big mistake, murmure Vicky], et sa voiture a fait cinq, six tonneaux sur la route glacée. Il a fallu des pinces de désincarcération pour la sortir du bloc de métal compact qu'était devenue la voiture. Et Vicky s'en est tirée avec un petit doigt brisé!»

«Il suffit de peu pour que le pire soit évité ou pas. On peut en imputer la responsabilité aux astres, au hasard. Mais je crois que nous avons toujours une marge de manoeuvre. Il y a quelque chose de Charles Dickens dans Mauvaise étoile, mais à la manière américaine, disons. Parce que j'ai passé mon adolescence immergé dans la littérature et la culture américaines.»

Pas question, donc, d'écrire des romans qui ne se dérouleraient pas aux États-Unis. Ses chansons, celles qu'il écrit pour son groupe rock Zero Navigator, sont, elles, plus diversifiées. «C'est parce que l'écriture est ma philosophie et que la musique est ma religion!» Chose certaine, il ne répugne pas à parler de son Birmingham natal: il vient de faire une conférence radiodiffusée en Angleterre sur le sujet! «Tout est né à Birmingham: le premier métier à tisser mécanisé, le Pacemaker, Led Zeppelin, Tolkien, l'avion Spitfire, la peinture préraphaélique, Black Sabbath, la Jaguar, le crayon, tout!» Y compris un certain R.J. Ellory.

Bonne étoile

Il est coutume, quand on parle d'Ellory, d'évoquer une anecdote: en 1987, alors qu'il a 22 ans, il voit un homme complètement absorbé par un roman; interrogé sur ce qu'il lit, cet homme en raconte avec passion l'histoire à Ellory, qui décide que c'est ce qu'il fera dans la vie. Oui, écrire des livres puisqu'ils suscitent une telle passion.

L'anecdote a désormais une suite: «Vingt-cinq ans plus tard, explique l'auteur de 48 ans, j'ai de nouveau rencontré cet homme, que je n'avais jamais revu depuis. Et je suis allé lui dire ce qu'il avait été dans ma vie: pas un near miss, mais bien un catalyseur. Il était complètement éberlué. Maintenant, voulez-vous savoir la meilleure? Par hasard - ou pas! -, j'avais dans ma poche le livre que ce gars-là lisait 25 ans plus tôt! Le même! C'était It de Stephen King. Alors, je l'ai donné à cet homme, en y inscrivant un petit mot: merci!»

R.J. Ellory en quelques dates

1965: naissance le 20 juin de Roger Jon Ellory à Birmingham (Angleterre), d'un père inconnu et d'une mère actrice.

1971: mort de sa mère à 28 ans. Ellory aboutit dans un orphelinat avec son frère aîné. Il y découvre la lecture et apprend la trompette. Nombreux ennuis avec les autorités.

1987-1993: il décide d'écrire des romans: 22 livres en six ans, tous refusés par les éditeurs.

1991-2005: membre actif de l'Église de scientologie, notamment pour régler ses problèmes de toxicomanie. Deuxième mariage et naissance de son fils Harris, aujourd'hui âgé de 16 ans.

2001: Ellory se remet à l'écriture et publie Candlemoth en 2003. Il publie depuis un polar-thriller par an, tous situés aux États-Unis et tous des succès de libraire,

couronnés de nombreux prix.

2010: Prix des libraires du Québec pour son roman Vendetta.

2011: Ellory écrit des chansons et joue de la guitare avec son groupe The Renegades, rebaptisé The Whiskey Poets, puis, en 2013, Zero Navigator.

2012: invité d'honneur du premier festival Printemps meurtriers de Knowlton (festival international de littérature policière). Révèle qu'il a signé d'un pseudonyme des critiques positives de ses livres à Amazon.com.

2013: publication de son 11e roman The Devil and The River, de sa 5e traduction française Mauvaise étoile, écriture d'une série radio sur sa ville natale et enregistrement du premier album de Zero Navigator.