Marie Laberge joue le jeu de l'enquête policière dans Mauvaise foi, son 11e roman, qui parle de confiance, de bonté, d'abus de pouvoir et de sexualité refoulée. Un vrai roman de Marie Laberge, déguisé en polar.

C'est parce qu'elle désirait retrouver Patrice Durand et Vicky Barbeau, le duo de policiers qu'elle avait mis en scène dans Sans rien ni personne en 2007, que Mauvaise foi est né. Dans ce nouveau récit, le Français et la Québécoise sont appelés à résoudre un meurtre commis il y a 22 ans à Sainte-Rose-du-Nord, au Saguenay, et pour lequel un jeune homme aurait été injustement condamné.

«Ils me plaisent, ces deux-là, dit Marie Laberge avec son entrain habituel, parce que sans se comprendre totalement, ils se respectent et se complètent. Et puis, le choc des deux manières de faire, des deux langages, provoque des sourires dont j'ai besoin pour ne pas suffoquer en écrivant sur des sujets si noirs.»

Mauvaise foi n'est pas un polar, mais «un roman de Marie avec une intrigue policière», affirme l'auteure. «J'aime bien «transgenrer»... Je sais, ce mot n'existe pas, mais disons que j'aime aller où je veux.»

Par contre, en adoptant la structure du polar - un meurtre, une enquête, une résolution -, Marie Laberge n'a pas le choix d'aller «dans ce que l'être humain a probablement de moins glorieux».

«Il y a des gens qui sont terribles dans les polars parce qu'ils transgressent la seule règle qu'on ne doit jamais transgresser, tuer l'autre. Alors on est dans une espèce d'exacerbation des sentiments humains qui sont loin d'être jolis ou décoratifs.»

Elle constate cependant que l'écriture de polars a fait surgir en elle des personnages «infiniment bons, déterminés à vivre leur vie avec leurs questions et leurs doutes». «Ça vient contrebalancer la noirceur. Parce que ce roman est aussi très sombre, à cause des atrocités qui sont commises au nom de...»

Nous marchons évidemment sur des oeufs à ce moment de l'entrevue, question de préserver l'intrigue. Disons seulement que l'hypocrisie de l'Église catholique est particulièrement visée. «Il est de notoriété publique que l'Église a commis des crimes, puis qu'elle les a camouflés à cause de ce sentiment de toute-puissance qui fait qu'on peut sacrifier des gens sous prétexte que leur vie vaut moins que la réputation d'une Église ou de ses membres influents.»

Mais non, Marie Laberge n'est pas fâchée. «Il faudrait que je sois croyante, et je ne le suis pas», rétorque-t-elle, et elle serait désolée si son roman était perçu comme un règlement de comptes. Pour elle, certains dogmes qui sont véhiculés par l'Église catholique sont simplement «discutables et contestables», particulièrement celui de la pureté et de l'abstinence.

«Tout être humain est habité par une sexualité. À partir du moment où on contraint cette force, qui est le sel même de la vie, c'est sûr que ça va péter quelque part. Pour moi, l'appétit de pouvoir peut prendre en charge la sublimation de la sexualité, mais ça ne se sublime pas toujours vers le beau. Ça peut arriver que ça sublime vers l'écoeurant.»

Alors, même s'il y a «des affaires qui ne marchent pas» et qu'elle considère que son rôle est de poser des questions, le sujet principal du roman reste la foi. Toutes les fois. «Celle qu'on a en soi ou non. Les préjugés qui nous font du tort. Les gens qui sont de bonne foi, et ceux qui sont de mauvaise foi. Et l'autre sujet, c'est certainement la cruauté humaine, plus précisément à travers ses êtres les plus vulnérables, soit les enfants et les jeunes adultes.»

Un des premiers personnages à affleurer dans sa tête a d'ailleurs été Paul, injustement accusé du meurtre de sa mère adoptive. «Je savais que l'enfant de la victime avait été immolé parce qu'il n'avait pas eu une réaction généralement reconnue [NDLR: lorsque Paul trouve le corps de sa mère adoptive, il la prend dans ses bras et la berce]. Je crois que si moi aussi j'étais témoin d'une situation extravagante ou très violente, je n'aurais pas une réaction dite normale.»

Malgré tout, Marie Laberge a cru tout de suite à l'innocence de ce jeune homme qui se place «sur une voie de réserve» pour passer à travers ses années en prison.

«On revient tout le temps à la foi. Il croyait en lui parce qu'on a eu foi en lui. Et parce qu'il n'a jamais cru que la mère qu'on lui a dit qu'elle n'était pas sa mère ne l'était pas. Il restaure ce qu'est fondamentalement le lien maternel. Une mère, c'est la personne qui nous soutient, qui nous entoure de son affection, qui fait en sorte que le mal ne nous détruise pas. C'est son dogme à lui: la femme qui m'a choisi comme fils est ma mère. C'est vrai, positif et indiscutable, et c'est ce qui fait que cet homme est encore debout.»

Marie Laberge. Québec Amérique. 301 pages. En librairie mardi.

Marie Laberge, maître de son destin

En plus de son nouveau roman, Marie Laberge lancera mardi son tout nouveau site internet. Pour la première fois, on pourra se procurer les versions numériques de tous ses romans.

«Je les vends moi-même sans passer par d'autres agrégateurs. C'est une entente entre moi [les éditions Martha, qui avaient publié son roman épistolaire du même nom] et iBook. Et Mauvaise foi ne sera pas vendu tout de suite sur le site, parce que je veux donner une chance aux libraires.»

Marie Laberge est probablement un des auteurs les plus populaires du Québec - sa seule trilogie Le goût du bonheur s'est vendue à plus de 900 000 exemplaires dans la francophonie. Elle estime que les écrivains doivent prendre le train du numérique s'ils veulent être rétribués à leur juste valeur.

«Il n'y a pas de tradition dans le numérique, et cette nouvelle plateforme, les écrivains ont intérêt à se réveiller et à l'exploiter.»

Marie Laberge a pris le temps de bien organiser un site ludique et agréable, et aussi bilingue - deux de ses romans, Juillet et Le poids des ombres, seront offerts en anglais. «J'ai travaillé comme une folle sur ce site», dit l'auteure.

Pour cette raison, elle n'a pas encore de nouveau livre en marche. «Mais je dois dire qu'il y a du monde qui piétine ici, dit-elle en montrant son ventre. Ce ne sera pas long!»

Le site marielaberge.com sera en ligne le 15 octobre, et les livres numériques seront en vente quelques jours plus tard.

Ses auteurs de polars préférés

Marie Laberge aime les polars depuis longtemps. Voici quelques auteurs qu'elle aime particulièrement.

> AGATHA CHRISTIE

Jeune, j'ai lu les Agatha Christie, comme tout le monde. J'aimais aussi les relire parce que j'essayais de trouver ses trucs et de comprendre ce qu'elle avait mal fait, ou comment elle avait fait pour que les lecteurs découvrent le meurtrier. Ç'a été mon premier amour policier.

> HENNING MANKELL

Pour moi, c'est un des grands. Parce que ses livres ont toujours une dimension sociale. Ce n'est pas juste unmeurtre, juste un carnage, c'est un être humain derrière ce carnage et la société qui se souvient, ou pas, de cet être humain. C'est très puissant.

> ELIZABETH GEORGE

C'est une auteure américaine dont la plupart des romans se passent en Angleterre. C'est à s'yméprendre, on croirait vraiment avoir affaire à une Anglaise! Ses livres ont une grande puissance psychologique. Elle décrit bien l'intériorité de ses personnages qui sont très construits et denses, qui n'ont jamais qu'une seule facette. En plus, c'est très bien écrit.

Extrait Mauvaise foi

«Paul hausse les épaules pour répondre à Vicky. Ses longues mains si délicates demeurent posées sur la table, immobiles. Il y a en lui une tristesse profonde à laquelle il ne résiste pas. Vicky l'observe, le coeur serré devant tant de résignation. Il a l'air d'un enfant inoffensif... et il va célébrer ses quarante ans dans quelques jours. Elle trouve Patrice bien silencieux. Il prend des notes, lève les yeux vers Paul: «Il faut bien qu'il y ait une cause à un meurtre aussi violent. Puisque ce n'est pas vous, qui en voulait à votre mère?»»