New York a été utilisé à toutes les sauces dans les arts, au cinéma comme dans la littérature. Emmanuel Kattan le sait bien, et il ne voulait surtout pas tomber dans les clichés en utilisant la ville américaine comme toile de fond de son troisième roman.

Dans Le portrait de la reine, la High Line est ainsi considérée comme «trop touristique» et les scènes dans Central Park se déroulent en retrait, sur Cedar Hill. L'idée était donc de ne pas montrer les lieux qu'on voit dans toutes les comédies romantiques américaines et de sortir du parcours obligé.

Écrire sur New York aura aussi permis à Emmanuel Kattan de s'approprier un peu la ville dans laquelle il vit depuis huit ans - il a travailléà l'ONU et est actuellement en poste au British Council -, et où il est difficile «de trouver sa place propre». Résultat: ce nouveau roman est probablementle plus personnel de l'écrivain et philosophe, parce qu'il y décrit les lieux qui le touchent et qui sont liés à ses souvenirs.

«En arrivant à New York, j'ai cherché instinctivement des petits recoins, des squares cachés, et j'ai essayé de faire découvrir ça aux lecteurs, explique Emmanuel Kattan, qui a fait un court passage à Montréal la semaine dernière. Pour les deux personnages, ces lieux deviennent des traits d'union qui leur permettent de se rencontrer.»

Dans Le portrait de la reine, Rick Boisvert, un peintre québécois qui a connu du succès à New York pendant les années 80, croit dur comme fer qu'il a repéré la reine Élisabeth se promenant incognito dans Manhattan. Celle-ci, authentique New-Yorkaise, décide de jouer le jeu. Ils se reverront donc régulièrement, le temps que Rick fasse le «portrait de la reine».

«J'ai essayé de traduire dans ce livre un certain amour pour la ville, qui est ma propre affection, mais aussi celle qui se développe entre les deux personnages. Alors qu'ils n'ont rien en commun, ils s'apprivoisent, apprennent à s'aimer et à aimer la vie à travers le regard de l'autre.»

Pour Emmanuel Kattan, Le portrait de la reine est non seulement l'histoire d'une rencontre, mais une histoire d'amour «un peu insolite», comme toutes les histoires d'amour. «Quand on tombe amoureux, c'est toujours avec l'étranger, et en mêmetemps avec quelque chose de familier. Le miracle, c'est cette juxtaposition de la différence absolue et de la familiarité, qui crée une espèce de tension et de remous en nous.»

Cette rencontre amène aussi deux personnages à faire leur bilan, et leur permet d'entrevoir la possibilité d'un nouveau départ. «Même à 60, 70 ans, on peut faire ça. C'est l'espoir qu'il y a dans le roman. Avec de l'imagination, et aussi avec de l'amour parce qu'il n'y a pas d'amour sans imagination, on peut recommencer quelque chose, et quelque part se racheter vis-à-vis de soi-même.»

Extrait Le portrait de la reine

«Lorsqu'elle se décide enfin à rentrer, il est deux heures de l'après-midi. La faim la tenaille. Elle s'arrête chez l'épicier, au coin de la 49e Rue, pour acheter du pain et des oeufs. La caissière, son téléphone cellulaire calé entre la joue et l'épaule, daigne à peine la regarder. Elle poursuit sa conversation comme si de rien n'était, et au lieu de lui remettre sa monnaie dans la main, elle la jette distraitement sur le comptoir. Normalement, la dame, habituée aux petits affronts de la vie new-yorkaise, aurait à peine sourcillé. Mais aujourd'hui, elle a envie de répondre à l'insolente: «Dites-moi, mademoiselle, savez-vous seulement qui je suis?» Elle se retient, cependant, et se laisse entraîner par Scarpetta qui, tout en tirant sur sa laisse, la regarde d'un air affamé.»

LE PORTRAIT DE LA REINE. EMMANUEL KATTAN. BORÉAL, 168 PAGES.