Il y a quelques années, à la surprise de beaucoup, Caroline Allard, la femme derrière Les chroniques d'une mère indigne et de la bédé Pour en finir avec le sexe, s'est rasé les cheveux. Pour une bonne cause: le défi «têtes rasées» qui vient en aide aux personnes souffrant du cancer. Tout naturel qu'on lui demande si cette aventure capillaire est à l'origine d'un roman où l'obsession de la coiffure parfaite confine au délire collectif.

Oui et non. L'idée d'Universel Coiffure lui est venue d'un mauvais massage du cuir chevelu dans un salon, mais disons que l'expérience d'être chauve pendant quelques mois aura été une révélation. «Pour moi, cela a été une grande prise de pouvoir, parce que je n'avais plus à penser à mes cheveux le matin, explique-t-elle. Le jour où je me suis rasé les cheveux, j'ai oublié que je n'en avais plus. Alors que j'avais tant dépensé dans ma vie pour ma coiffure! Les gens me regardaient et je me demandais pourquoi. Après un moment, je n'en pouvais plus de me voir, je suis retournée chez le coiffeur et j'ai ressorti, avec un petit deuil, mon fer plat. C'est un peu honteux de dire à quel point c'est important, les cheveux!»

Pas dans Universel Coiffure où une belle coiffure est un droit humain fondamental. En fait, ça l'est sur la planète jumelle de la Terre, de laquelle deux habitants désespérés par leur calvitie ont décidé d'apporter la «bonne nouvelle» sur la Terre que nous connaissons. Plus précisément à la coiffeuse Sylvie de Saint-Lin, avec pour conséquence un chaos qui secouera la Belle Province. Bizarre? Attendez la suite: il y a peu de différences entre les deux planètes, mis à part le droit à la coiffure et le fait que Claudette Dion est la vedette sur l'une, et Céline sur l'autre. Deux femmes qui, avouons-le, bouleversent le Québec chaque fois qu'elles changent de coupe...

Tout cela semble absurde - et ça l'est souvent -, mais Caroline Allard s'est inspirée d'une très sérieuse théorie de Hilary Putnam sur la «signification de la signification», à partir de l'exemple des Terres jumelles. C'est qu'il faut savoir que l'écrivain a fait ses études de doctorat en philosophie, jusqu'à ce que l'attrait de la fiction décide de sa carrière. «Cela a été comme une révélation. C'est comme si je pouvais utiliser la philo, des concepts, des façons de voir le monde, mais faire ce que je voulais, partir dans n'importe quelle direction, et ça n'avait pas besoin de se tenir au-delà de l'histoire.»

Et toujours avec beaucoup d'humour, que ce soit en ce qui concerne la maternité, le sexe... ou la coiffure. En plus d'être agréable, c'est une posture essentielle à la réflexion chez elle. «L'humour, c'est un pas de recul, dit-elle. C'est la preuve que tu arrives à te détacher, parce que lorsque tu es trop collé sur quelque chose, tu ne peux pas en rire. Ça m'a pris 40 ans pour que je puisse prendre du recul sur le sexe (rires)! Mais le rire, pour moi, c'est aussi se donner la permission d'être transgressive.»

Dans Universel Coiffure, nous avons droit à une belle recréation de la commission Bouchard-Taylor (sur les exigences de la population en matière de coiffure raisonnable, bien sûr). Caroline Allard s'est inspirée de sa propre expérience lors de la présentation d'un mémoire qui l'avait bien stressée. Le «printemps érable» a aussi contaminé son roman. Après tout, elle a participé à des manifs, mais ne peut s'empêcher de se questionner sur ses motivations et les dérapages de langage qu'on a pu subir pendant des semaines. «Je pense qu'il y a beaucoup de choses qu'on justifie par de grands principes mais qui tiennent en fait à très peu de choses. On n'a pas besoin d'avoir de grands principes pour avoir de graves problèmes, ça peut partir d'une question complètement banale, absurde. Comme si c'était une façon de se détourner des vrais questionnements sur nous-mêmes. Par exemple, je pense à mes cheveux plutôt que de penser à mon insécurité profonde. Ce sont des manoeuvres de fuite... Pour moi, dans les choses qui vont mal sur la planète, il y a beaucoup de ça.»

Et qui sait si sur une Terre jumelle, le slogan publicitaire de L'Oréal - «parce que je le vaux bien!» - n'est pas un cri révolutionnaire...

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Universel Coiffure. Caroline Allard. Coups de tête, 248 pages.

Extrait d'Universel Coiffure

«Sylvie avait vu qu'un groupe de citoyens avait lancé une pétition électronique à l'Assemblée nationale: écoutons les extraterrestres et faisons de la coiffure réussie un droit fondamental. Le document avait réussi à rassembler vingt-neuf mille signatures en une semaine, sans doute tous des braves gens qui aspiraient à une vie meilleure et qui croyaient qu'aux grands problèmes (avoir envie de mourir) existait une solution simple (aimer sa chevelure). C'était sans grandes conséquences et même plutôt positif, non?

Non?»