Jocelyne Saucier a écrit quatre romans en 15 ans, a été deux fois finaliste au Prix du gouverneur général, mais connaît cet hiver un état de grâce critique et public avec son plus récent livre. OEuvre d'une grande humanité et en marge de la mode, Il pleuvait des oiseaux met en scène des personnes très âgées vivant en forêt. Ce roman nous réconcilie avec l'amour et nous fait apprivoiser, un peu, la mort.

Jocelyne Saucier nage à contre-courant et elle le sait. Il pleuvait des oiseaux, son quatrième et plus récent roman, met en scène des personnages dont la moyenne d'âge est d'à peu près 88 ans et se déroule très très loin au fond du bois, dans une forêt du nord de l'Ontario. «Dans les romans d'aujourd'hui, les personnages se promènent d'une grande ville à l'autre, constate-t-elle. Alors d'avoir du succès auprès des urbains, j'en suis très touchée. Je ne sais pas ce qu'ils ont trouvé dans ce livre.»

Peut-être un souffle de liberté, peut-être leurs origines refoulées de coureurs des bois... C'est vrai que la romancière née au Nouveau-Brunswick, mais ayant adopté l'Abitibi depuis 30 ans - tous ses romans se déroulent dans cette région- a voulu imprimer cette notion de grands espaces dans son récit. «Le Nord m'inspire. Si on sent cet esprit de liberté, c'est parce que c'est encore un pays neuf, où tout est possible.»

Il est possible entre autres d'y vivre sa vie en dehors de toute civilisation: elle a souvent remarqué lors de ses expéditions dans le bois des cabanes isolées où, visiblement, des gens habitent à l'année. Et c'est ce qu'elle a mis en scène dans Il pleuvait des oiseaux, un «ermitage» de vieux - «des vieillards, n'ayons pas peur des mots» - qui, pour toutes sortes de raisons, ont choisi de se retirer du monde et vivent en bons voisins une existence en accord avec la nature et les éléments.

Ils étaient trois, mais Il pleuvait des oiseaux commence alors que l'un d'entre eux, Boychuck, vient de mourir et que la vie des deux autres s'apprête à basculer: d'abord débarque une photographe, alter ego de l'auteure, à la recherche de survivants des Grands Feux qui ont ravagé le nord de l'Ontario entre 1910 et 1920.

Puis, un de leurs protecteurs, cultivateur de pot au grand coeur, leur amène une vieille dame de 82 ans, sa tante qui a été internée pendant 66 ans et qu'il a «enlevée». Marie-Desneige, personnage magnifique et éthéré inspiré de la tante de l'auteure, à qui elle dédie le livre - «Je m'étais promis un jour que je lui donnerais une vie», dit-elle-, s'intégrera au duo et aura, enfin, la chance de vivre un peu de bonheur.

 

Roman sur la vieillesse

Parce qu'elle avait souvent décrit des personnages qui disparaissent et l'impact sur ceux qui restent, Jocelyne Saucier avait décidé d'aller, pour la première fois, du côté des disparus. Mais elle n'avait pas du tout prévu que ce roman deviendrait un roman sur la vieillesse. «Je les aime, moi, les vieux. Ils me touchent, ils m'émeuvent. C'est tout ce qu'il leur reste, la vie, ils y sont disponibles.»

Elle avait aussi fait une recherche sur les Grands Feux... pour un autre livre, pas encore écrit. Ainsi, la genèse de ce roman ne s'explique pas vraiment pour elle. «C'est difficile de dire ce qui déclenche un livre. L'imaginaire vient avec le pétrissage des mots. J'aime la prose, la phrase, j'aime me battre avec une virgule...»

Jocelyne Saucier ne connaît pas l'angoisse de la page blanche, mais celle de la quatrième page, oui, entre le vertige et le bonheur, quand l'histoire est lancée et que tout devient possible. C'est pourquoi elle fonctionne de manière très organique et ne travaille pas à partir d'un plan. «Je cherche toujours la fin... Je sais ce que je veux, mais pas comment j'irai.» L'écriture d'un livre est ainsi pour elle un long voyage, qui lui prend souvent entre quatre et cinq ans.

Lire, vivre, écrire, c'est son mantra. «Ce que j'aime, c'est inventer un univers», dit l'auteure de 63 ans, qui n'aime ni l'autofiction, ni le mélodrame. Et même si ses histoires suscitent de grandes émotions, elle ne surligne rien. «J'évite le pathos. Les personnages vivent par eux-mêmes.»

À ce titre, c'est le chapitre sur les Grands Feux qui a été le plus difficile à écrire. «Il ne fallait pas trop en mettre, a-t-elle jugé, c'était déjà assez terrible comme ça.» Car si tout est «inventé» dans Il pleuvait des oiseaux, ce passage du livre, lui, est entièrement vrai, même ce bout où les oiseaux meurent en plein vol à cause du manque d'oxygène.

«Toutes les histoires sur les Grands Feux sont véridiques. À cette époque, des villages entiers étaient rasés, reconstruits, puis rasés encore. Ils vivaient constamment avec la menace du feu, mais ils restaient à cause de la richesse du sol, parce qu'ils avaient espoir en leur pays.»

C'est donc en suivant la trace du plus célèbre des survivants que la photographe du livre, rebaptisée Ange-Aimée, tombera sur ce groupe marginal auquel elle s'attachera et qu'on suivra sur une période d'un an, dans la lenteur et la banalité du quotidien. L'histoire de ces gens «oubliés de Dieu», qui ont dépassé le stade de la maladie «et même de la mort», devient ainsi un formidable et touchant hommage à la vie, émouvant sans être larmoyant, d'une humanité parfois déchirante - on comprend facilement, puis on partage, la fascination d'Ange-Aimée pour la «communauté du lac».

On apprend aussi à apprivoiser un peu cette mort qui plane nécessairement partout, présence amicale et même rassurante - la strychnine conservée dans un petit pot est une assurance qu'aucun d'entre eux ne sera obligé de rester en vie s'il ne le désire plus. En cette période de Commission sur le droit de mourir dans la dignité et de questionnement sur l'euthanasie et le suicide assisté, Il pleuvait des oiseaux revendique «le droit de», bien sûr, mais rappelle aussi que la vie - surtout celle des personnes âgées - est faite de nombreuses petites joies qu'il ne faut pas sous-estimer.

«C'est bien de se poser des questions, de faire un débat, de vouloir baliser. Mais il ne faut pas banaliser la mort. J'ai peur qu'avec le temps, les vieux aient l'impression qu'ils n'ont plus le droit de vivre, qu'on leur fasse sentir que c'est indécent qu'ils soient encore là. Vieillir est un privilège, un privilège de pays riche. Partout, il y a des gens qui meurent avant d'avoir vécu leur vie.»

Il pleuvait des oiseaux

Jocelyne Saucier

Éditions XYZ, 179 pages

Pochette du livre Il pleuvait des oiseaux