Escalader l'ivresse, premier album d'Alexandre Désilets, était un disque aérien au chant sensuel. Avec La garde, à paraître mardi, il revient au niveau du sol. Sans devenir terre à terre.

De l'avis d'Alexandre Désilets, l'artiste québécois le plus important des 20 dernières années est Daniel Bélanger. «Il a une super voix et son chant est mauditement bien travaillé au plan mélodique», disait-il, il y a deux ans. L'admiration qu'il a pour son illustre collègue se comprend aisément: ce qui se trouve au coeur des chansons d'Alexandre Désilets, ce sont ses cordes vocales.

Pour composer son premier album, paru au printemps 2008, il a tout simplement fredonné les mélodies qu'il avait en tête aux musiciens qui l'accompagnent. «Je réfléchis comme un musicien», précise Alexandre Désilets. Il a d'ailleurs a appris à jouer d'au moins un instrument depuis la sortie d'Escalader l'ivresse: l'ordinateur.

Puisant dans une banque de mélodies qu'il s'était constituée, il a composé et arrangé les maquettes de La garde avec l'aide d'une foule de logiciels capables de traduire ses intuitions et manipulations en partitions. Ensuite, il a tout remis dans les mains du réalisateur et arrangeur Jean Massicotte (Lhasa, Pierre Lapointe, Patrick Watson) qui en a conservé les thèmes, les mélodies et l'esprit, mais est surtout parti de... la voix du chanteur.

Escalader l'ivresse, comme son titre le laisse entendre, était un disque aérien. Du rock d'atmosphère, planant, plutôt champ gauche, mais marqué par des mélodies accrocheuses. La garde possède plus que son lot de mélodies imparables (à commencer par Plus qu'il en faut et À pas de géant), mais n'est pas précisément un disque de rock. Moins de 30 secondes après le début de Changer d'air, qui ouvre le disque, on pressent qu'il est plus électronique.

Collages et juxtapositions

La suite confirme cette impression. La dizaine de chansons qu'on découvre sur cet album aussi court (36 minutes, pile-poil) que compact s'appuient sur des arrangements méticuleux où le son lui-même (grain, texture, spatialisation) est superbement mis en scène. «Ce n'est pas de la musique live», confirme Alexandre Désilets.

Jean Massicotte a eu un impact majeur sur la facture du disque. «J'arrivais avec des thèmes plus pop et quand on prenait une direction rock alternatif, comme sur l'autre disque, ça sonnait vraiment quétaine, dit le chanteur. Il a réussi à éviter ça. Il y a des claquements de mains, des éléments électroacoustiques... L'idée, c'était de faire une pop qui ne soit pas léchée et qui ne sonnait pas comme du indie rock. Une pop déglinguée.»

Le fond rock glissant demeure, mais l'emballage sonore est en effet un affaire de collages et de juxtapositions parfois volontairement ajourées. Ici, quelques notes de guitare égrenées presque sans résonance, là, quelques mesures d'un piano qui disparaît aussi promptement qu'il a surgi. Partout, cette voix haute, agile, un peu moins planante qu'avant et sensuelle comme dans une ballade R&B (À moitié fou).

L'influence R&B est d'ailleurs la seule qu'on peut identifier clairement. «Je ne voulais pas aller dans le full R&B, mais je suis capable de faire du Erykah Badu jusque dans les trémolos», assure le chanteur. Mais La garde, c'est autre chose. Du rock, de la pop, des couleurs qu'on dirait empruntées aux groupes alterno-sombres des années 80 (Depeche Mode, The Cure), des souvenirs trip-hop, du dubstep accéléré peut-être et aussi quelques notes de banjo.

C'est aussi une histoire, la traversée onirique d'une ville moderne à la beauté fascinante et aux obsessions inquiétantes. «Toutes les chansons peuvent êtres perçues comme des critiques sociales», estime Alexandre Désilets, qui a coécrit les textes avec Mathieu Leclerc. Tout sonne peut-être faux dans notre monde, comme il le chante sur Plus qu'il en faut. Mais pas ses chansons.

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Abonné aux prix

La jeune carrière d'Alexandre Désilets n'est pas auréolée d'une rayonnante célébrité. Sa cote a toutefois vite grimpé chez les amateurs de pop soignée et dans le milieu de la musique québécoise. Au cours des dernières années, il a remporté pas moins de trois prix: le prestigieux Félix-Leclerc aux FrancoFolies de 2009, celui de la relève Archambault quelques semaines plus tard et, lundi dernier, la Société professionnelle des auteurs et compositeurs du Québec (SPACQ) lui décernait l'un des deux prix André «Dédé» Fortin, remis à un auteur-compositeur de la scène émergente.