On l'a dit et écrit partout: The Girls serait LE livre (ou l'un des livres) de la rentrée. Et son auteure, Emma Cline, une révélation - rien de moins.

Alors?

Alors, c'est vrai.

On est soufflé par la beauté de l'écriture, envoûté par les personnages, happé par le récit. Transporté par l'ensemble. Et même si, ici et là, le style se fait un peu trop appuyé, le lecteur, docile et consentant, se laisse phagocyter, s'immerge dans ces pages qui collent à la peau. S'imbibe d'elles.

Signé Emma Cline, donc, qui a maintenant 27 ans (elle en avait 22 quand elle a mis la première main à ce texte) et dont c'est le premier roman, The Girls nous téléporte en Californie, durant l'été de 1969. Evie Boyd a 14 ans. Elle s'ennuie ferme dans la grande maison désertée de jour par sa mère et en tout temps par son père, comme ses parents viennent de divorcer.

L'oisiveté est, paraît-il, la mère de tous les vices. Elle sera cela pour l'adolescente. Et, aussi, source d'exploration.

Ça commence par un «bang». Cette fameuse première phrase qui, réussie, ferre le lecteur pour toutes celles qui suivent. «Je levai les yeux à cause du rire, et je continuai à regarder à cause des filles.»

Le lecteur, par magie, les voit alors aussi. Tombe, comme l'adolescente, sous le charme hypnotique des «filles» qui, découvre-t-on, vivent dans une ferme délabrée, au sein d'une communauté sur laquelle règne un «leader» charismatique.

À côté de l'histoire

Emma Cline l'a baptisé Russell. Il aurait pu s'appeler Charles. Charles comme Charles Manson. Quant à la préférée dudit Russell, Suzanne, celle vers qui Evie sera attirée, elle aurait pu se nommer Sadie. Sadie (dont le véritable patronyme était d'ailleurs Susan) qui, au sein de la «famille» Manson, était la favorite du chef de la secte hippie.

Bref, nous sommes dans les pas de l'histoire tout en étant à côté.

Raconté par une Evie maintenant adulte, dont la voix se fait entendre en pointillé dans de courtes sections séparant les différentes parties du roman, The Girls, sous la baguette d'Emma Cline, joue avec les faits et, surtout, ne se fait pas voyeur: le titre est clair et ne ment pas, l'accent est mis sur les filles et pas sur le «leader», sur les relations entre les filles, la complicité, la rivalité. Et sur Evie, que l'on voit changer, pas tout à fait victime et, à la fois, pas totalement en contrôle.

C'est fascinant.

Fascinante aussi est la façon dont le drame que l'on sait - les meurtres, la violence, la froideur - surgit ici et là dans le récit, bien avant les faits, de façon impromptue mais préméditée et maîtrisée («Il serait le premier. Celui qui essaierait de riposter, de fuir», peut-on lire bien avant la tragédie), avant de couler comme le sang sur des pages où tout est dit sans l'être, où l'on sent tout sans être là. L'effet est oppressant, puissant. Prenant. Dérangeant.

The Girls n'est pas un roman innocent.

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The Girls. Emma Cline (Traduit par Jean Esch). Quai Voltaire. 331 pages.