De la cuisine au grenier en passant par la salle de bains et l'«entre-deux», cette cache où son grand-père juif trouva refuge pendant l'Occupation, Christophe Boltanski retrace la biographie de sa famille par l'entremise d'une exploration de leur appartement parisien, lieu d'ancrage de quatre générations d'excentriques. Son récit lui a valu le prix Femina.

Toutes les familles ont leurs manies particulières, mais celle de Christophe Boltanski, où l'on vit en magma, «collés les uns aux autres», dans l'appartement «Rue-de-Grenelle», offre une somme de bizarreries sans doute plus grande que la moyenne.

Juifs d'Odessa, les arrière-grands-parents fuient les pogroms à la fin du XIXe siècle pour une vie pauvre en France, où leur fils Étienne - grand-père de Christophe -, brillant élève, réalise le rêve d'une intégration exemplaire par l'école de la République, devient médecin et même chef de service. Mais le régime de Vichy, de plus en plus oppressant, fait craindre l'arrestation et la déportation. Plutôt que de gagner la zone libre, Étienne demande le divorce et se cache... dans l'appartement même, sur les conseils de sa femme, la «Mère-Grand» de Christophe.

Retraçant la généalogie de sa famille, une histoire faite de trous, d'identités incertaines et d'hypothèses d'écrivain, Boltanski entremêle également l'intime et la grande histoire. Le découpage en chapitres courts, chacun dévolu à une pièce de l'appartement, donne lieu à un récit fragmenté, où descriptions et souvenirs font entrer le lecteur dans les habitudes de vie de plusieurs générations peu soucieuses de la bienséance bourgeoise: du refus de l'hygiène corporelle à la déscolarisation des ados, des amis qui débarquent sans prévenir aux enfants dormant dans des sacs de couchage au pied du lit des grands-parents...

Famille atypique, cultivant une peur de tout héritée de l'Occupation, les Boltanski méritaient bien un roman. Mais il fallait éviter une traversée du XXsiècle français comme on en a lu d'autres. L'approche de Boltanski, topographe précis de la mémoire familiale, est non seulement originale, mais évite, en outre, l'écueil de la complaisance ou de l'apitoiement sur soi.

Les Boltranski, une famille hors de l'ordinaire

Grand reporter à L'Obs, Christophe Boltanski, déjà auteur de plusieurs essais, n'est pas la seule figure connue de la famille. Sa grand-mère fut l'auteure, sous le nom de plume d'Annie Lauran, de romans et d'essais à saveur sociologique, «une oeuvre injustement tombée dans l'oubli», selon Christophe. Son père Luc Boltanski est un éminent sociologue, également auteur de poésie. Son oncle Jean-Elie est quant à lui linguiste, publiant «des ouvrages savants sur le langage, la phonologie, la révolution chomskyenne». Enfin, son deuxième oncle, Christian Boltanski, est un artiste contemporain reconnu internationalement.

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La cache, Christophe Boltanski, Stock, 300 pages.