Arriver dans Soifs, le cycle romanesque de Marie-Claire Blais, à la veille du dernier acte, relève de la grande gymnastique, sinon d'un exercice carrément casse-gueule.

Mais bien que plusieurs clefs, parsemées au cours des sept premiers titres, nous échappent, la lecture s'avère tout de même prenante, voire captivante.

L'esprit de l'auteure reste le même, faut-il dire. L'humanisme de Marie-Claire Blais est là, vibrant, comme aux premiers temps, celui d'Emmanuel ou du Sourd dans la ville.

Le souffle a changé, le style aussi. L'absence de ponctuation, à l'envers de la vie réelle, nous invite à prendre le temps.

Et s'il est impossible de ralentir, on peut alors lire et relire et goûter, avec un plaisir renouvelé, la virtuosité d'un fort courant qui nous mène de l'un à l'autre de personnages persévérants ou blessés, mais attachants.

Arriver à la fin du cycle de Soifs, c'est prendre le train en marche ou plutôt laisser le train nous prendre, nous dire d'ouvrir le coeur et de nous laisser aller à une «parole si concrète».

Un romancier, Daniel, se rend à une rencontre d'écrivains en Écosse. Il rêve, imagine, désespère parfois. Il espère, aussi, en pensant souvent à ses enfants adorés, éparpillés dans un monde cruel, voire dangereux.

On peut le voir aussi comme le porteur de la parole de la romancière qui s'inquiète pour les arts, les artistes et les philosophes. Qui en défend le bien-fondé, la pertinence devant les «armes de la régénération de la guerre» ou aux parents «qui vendent leur enfant pour un sachet de cocaïne».

Le festin au crépuscule célèbre beaucoup le refus de la violence, de la criminalité, de la corruption, du nucléaire, de l'indifférence. C'est une invitation à une fête humaine qui croit aux enfants, aux jeunes, à leurs luttes et à leurs espoirs dans la quiétude du soir qui tombe.

Toutes les soifs d'humanité, Marie-Claire Blais les incarne. Tous les souffles de vie, la romancière les expose comme s'ils étaient déjà en elle. Sa compréhension des choses de l'existence est telle que l'on ne peut qu'adopter son souffle et sa faim du bien, ses faims d'un monde sans fin.

Est-on dans le rêve ou la réalité? se demande-t-on souvent à la lumière d'un crépuscule pouvant annoncer aussi bien la nuit qu'appeler le jour qui suit.

La question n'a jamais aussi peu compté, tant la vérité habite tout ce qui est dit, pensé ou imaginé dans ce roman qui laisse entrevoir, comme les désirs de bonheur simple d'Angel au bout de 287 pages, une grande finale humaniste à Soifs.

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Le festin au crépuscule. Marie-Claire Blais. Boréal, 287 pages.