Pas de majuscule, pas de titre de chapitre ni même de numéro: le plus récent roman de Laurent Mauvignier commence de manière brute. Voire brutale. Comme un coup de poing sur la gueule qui nous fait perdre un instant le contact avec la réalité. Ou nos repères littéraires. Mais la forme a sa raison, car c'est précisément de brutalité que Mauvignier a choisi de parler en s'inspirant d'un fait divers survenu en France en 2009, lorsque quatre gardiens de sécurité d'un supermarché ont battu à mort un jeune homme de 25 ans dont l'unique crime était d'avoir pris sur une étagère une canette de bière, de l'avoir ouverte et de l'avoir bue «parce qu'il avait soif». Un acte barbare que Laurent Mauvignier rapporte en une seule phrase fleuve sans début ni fin coulant sur 61 petites pages sans s'encombrer des détails de l'incident pour n'en garder que l'essentiel: l'absurdité du geste.

À la différence des articles publiés dans les journaux, le lecteur ne saura jamais si la victime était noire, blanche, arabe, riche ou pauvre et qu'importe. Elle avait des parents, un frère - le narrateur - et peut-être même bientôt une petite amie. Il avait des rêves. Pensait pouvoir en finir avec les petits boulots et sortir de l'oubli.

Au fil des pages, le monologue dépasse vite la curiosité superficielle suscitée par un tel fait divers. La vie, l'espoir, la mort, Laurent Mauvignier parle de tout cela en même temps et fait mentir ceux qui pensent que la densité du propos est proportionnelle à l'épaisseur du bouquin.