La Chine dépotoir du monde: nous avons tous en tête les images apocalyptiques que le photographe canadien Edward Burtynsky a prises dans les immenses carrières de déchets électroniques où sont entassés vieux ordinateurs, télés usagées et autres appareils usuels de notre vie quotidienne.

L'écrivain et réalisateur franco-chinois Dai Sijie ajoute des mots sur ces clichés qui servent de toile de fond à Trois vies chinoises, roman tout aussi saisissant que l'oeuvre de Burtynsky, et peut-être encore plus révoltant parce qu'il s'attarde à ceux qui vivent et travaillent en bordure de ces montagnes d'ordures.

Les protagonistes de Trois vies chinoises qui demeurent dans le dépotoir géant de l'île de la Noblesse sont malades - ou le seront, empoisonnés par le plomb, le mercure, l'étain ou l'une des centaines de matières chimiques contenues dans un seul ordinateur. Ils sont daltoniens, ils perdent la mémoire, ils deviennent carrément fous ou ils sont atteint de progéria, cette maladie qui fait ressembler à des vieillards des enfants de 10 ans.

Avec une économie de mots et non sans une certaine poésie, Dai Sijie raconte sur un ton en apparence détaché trois histoires où des destins bifurquent parce que leur environnement les tue à petit feu.

Chaque récit est un véritable petit suspense d'où se dégage une ironie glaçante. Pourquoi le directeur de la prison où sont détenus les condamnés à mort a-t-il acheté le petit «Ho Chi Minh» à sa tante? Est-ce que le «Bogart du réservoir d'eau» a tué sa femme? Qu'est-il arrivé à l'ancienne forgeronne qui a fabriqué elle-même la chaîne servant à attacher son fils à un arbre?

Depuis Balzac et la petite tailleuse chinoise, roman d'amour et de passion pour la littérature sur fond de révolution culturelle chinoise, Dai Sijie excelle à ramener la grande histoire à une taille humaine. L'auteur n'est pas militant écologiste, son discours n'est pas idéologique et le dégoût se lit entre les lignes. Pourtant, son roman nous rappelle avec acuité que notre mode de vie se construit sur le dos de gens qui n'ont déjà rien, et qui en subissent tragiquement les conséquences.

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Trois vies chinoises. Dai Sijie. Flammarion, 140 pages.