«Tout artiste d'aujourd'hui est embarqué dans la galère de son temps», écrivait Albert Camus, que cite Kertész en exergue de son Journal de galère. Rien n'est plus vrai pour l'auteur juif hongrois nobélisé d'Être sans destin, pour qui l'expérience du camp d'Auschwitz s'est traduite par une quête de vérité, gouffre dans lequel il lui faut plonger, nécessairement.

Réflexions philosophiques sur l'absence de destin de l'homme moderne, l'existence, la mort, Dieu, le totalitarisme, la liberté, la littérature... Kertész livre ses obsessions d'homme condamné à vivre car «le suicide qui me convient le mieux est manifestement la vie «. Être libre, ce serait donc, peut-être, se préparer à la mort «pour qu'elle ne nous atteigne pas comme un accident, comme un malfrat qui nous assommerait au coin de la rue». Citant quantité d'auteurs, dont Kafka, Nietszche ou Proust, Imre Kertész écrit sous forme de notations qui viennent frapper le lecteur par leur caractère implacable. Celle-ci, par exemple: «L'incroyable cécité de la conscience humaine me bouleversera toujours. Ils parlent de déjeuner et de sieste et ne voient pas que le canapé où ils s'allongent est leur cercueil.» Il faut accepter cette dureté pour lire Kertész, qui affirme: «Mon ambition d'écrivain: écrire quelque chose qui me tue.» On l'aura compris, dans ce journal qui couvre 30 années, de 1961 à 1991, nulle place pour l'anecdotique de la vie quotidienne. Quitte à se laisser happer par un tourbillon de réflexions parfois difficiles, on lira et on relira ces pensées sans risque d'en épuiser la profondeur.

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