Alors que l'année 2017 débute sous des cieux menaçants, Pierre Bayard propose, dans son dernier essai, d'écouter les prémonitions des écrivains et des artistes pour éviter le pire. Petit éloge du catastrophisme littéraire, idéalement destiné à ceux qui nous gouvernent.

Personne n'écrit des essais comme Pierre Bayard, qui s'est fait connaître avec le brillant Comment parler des livres que l'on n'a pas lus? en 2007. Chaque fois, nous avons l'impression qu'il nous propose ses théories paradoxales comme une blague, mais on se laisse toujours prendre au jeu.

Son plus récent livre, Le Titanic fera naufrage - l'un de ses meilleurs, à notre humble avis -, est le troisième d'une trilogie qui comprend Demain est écrit, dans lequel il démontrait que les écrivains s'inspirent parfois des événements à venir dans leur vie, et Le plagiat par anticipation, où il avait réussi à nous convaincre que les écrivains du passé plagiaient souvent les écrivains du futur.

L'essayiste en rajoute une couche à propos de ces écrivains et artistes dont les «capacités prémonitoires» auraient pu servir à éviter des catastrophes s'ils avaient été écoutés et pris au sérieux.

Le fil conducteur de cet essai se tisse autour de deux auteurs qui ont prédit des années à l'avance le naufrage du Titanic en 1912: l'Américain Morgan Robertson et le journaliste anglais William Thomas Stead.

En 1898, Robertson a publié le roman Futility (Le naufrage du Titan, en français), dans lequel un navire nommé le Titan, jugé «insubmersible» lui aussi, sombre dans l'Atlantique Nord après avoir heurté un iceberg. 

L'auteur décrit, 14 ans avant le naufrage, un bateau dont les mensurations ressemblent de façon troublante à celles du Titanic, jusqu'au manque de canots de sauvetage qui sera fatal à tant de passagers.

Quant à William Thomas Stead, il est l'auteur d'une nouvelle publiée en 1886 intitulée Comment le navire postal fit naufrage au milieu de l'Atlantique - Récit fait par un survivant. Comme le Titanic, ce navire sombre à la cinquième nuit de sa traversée, et le plus hallucinant est que Stead mourra lui-même... à bord du Titanic!

Le pire est toujours possible

C'est que la loi de Murphy, selon laquelle «tout ce qui est susceptible de mal tourner tournera inévitablement mal à un moment ou à un autre», est souvent à l'oeuvre chez ces auteurs prescients.

«Si la loi de Murphy intéresse la réflexion sur la création littéraire, c'est que l'écrivain, comme l'ingénieur soucieux de penser à toutes les éventualités, est naturellement porté à imaginer le pire», écrit Bayard.

«Cette prise en compte du pire est la moindre des choses que l'on attend d'un créateur, dont le travail psychique consiste à s'extraire du cours normal et attendu du monde pour imaginer toutes les situations possibles, y compris les plus graves, que la propension de l'esprit humain à dénier la réalité ne prédispose pas à regarder en face.»

«Si les écrivains ont une fonction d'éveil, c'est bien parce qu'ils acceptent de voir avec un temps d'avance ce à quoi leurs contemporains ne tiennent pas à être confrontés.»

Cette fonction devrait même être prise en considération en haut lieu, estime malicieusement Bayard. «Sans aller jusqu'à demander que les gouvernements, revenant sur l'arrêté platonicien qui mettait les poètes au ban de la cité, dirigent les pays en s'appuyant sur la littérature, on peut s'étonner que celle-ci soit tenue à l'écart des grandes décisions, et qu'il n'existe aucune forme de relais permettant aux politiques d'être informés des anticipations littéraires et de s'en inspirer au moment de prendre les mesures qui nous engagent.»

Ainsi, le monde aurait peut-être évité bien des malheurs s'il avait su détecter la menace totalitaire dans l'oeuvre de Kafka, par exemple, ou s'il n'ignorait pas la catastrophe climatique annoncée dans Sans dessus dessous, un roman inconnu de cet auteur qui a visé juste si souvent dans son oeuvre: Jules Verne, qui a deviné à l'avance le sous-marin (Vingt mille lieues sous les mers) ou le voyage dans l'espace (De la Terre à la Lune).

Pierre Bayard nous informe qu'il existe forcément des «anticipations dormantes» ou latentes dans une foule d'oeuvres qui ne se sont pas réalisées encore. Donc, tout ce que nous avons lu de plus terrifiant dans les livres n'est peut-être qu'un petit aperçu de ce qui nous attend.

De quoi relire La route de Cormac McCarthy avec encore plus de sueurs froides...

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Le Titanic fera naufrage. Les Éditions de Minuit. 172 pages.

Image fournie par les éditions de Minuit

Le Titanic fera naufrage, de Pierre Bayard