Cinquante ans qu'on l'entend dire tout et n'importe quoi. Parler de ses femmes, de ses chevaux et de ses chansons. De Sainte-Adèle et de Montréal, de Saint-Norbert et de Paris. Que ne savait-on déjà sur Jean-Pierre Ferland, «le grand de la chanson»?

Pas mal de choses, en fait, quand on lit Jean-Pierre Ferland - Un peu plus haut, un peu plus loin, la biographie «définitive» du Petit roi que vient de lancer Marc-François Bernier aux Éditions de l'Homme. On ne savait pas ce que Ferland avait tu, caché ou oublié de dire. On ne savait pas le contraire de quelques affaires qu'il répète depuis un demi-siècle - comme ces études aux HEC où il n'a jamais mis les pieds.

On ignorait aussi les versions de ses ex, épouses, concubines et autres «amours de transition», de même que les hauts faits de la star racontés par ses anciens collègues, associés, producteurs et néanmoins amis. Parmi eux: Gilles Vigneault; Ginette Reno qui n'aimait pas beaucoup le «chansonnier» au début; la (future) relationniste Francine Chaloult, spectaculaire blonde que Ferland avait «spottée» pendant un spectacle en Abitibi; André Perry, «mâle alpha» lui aussi et producteur de l'album Jaune (1969) qui a fait de Ferland un «moderne».

Pendant deux ans, Bernier a parlé avec la bête, fouillé les archives, retracé des dizaines d'acteurs et de collaborateurs: un musicien de l'époque française, difficile à documenter par ailleurs - «Les Français ne répondent pas au téléphone» -, une ancienne blonde en Californie.

«J'ai eu un genre de rechute journalistique», nous dira l'ancien journaliste du Journal de Québec, qui enseigne l'éthique journalistique à l'Université d'Ottawa. Bernier, 54 ans, avoue ne pas être familier avec le showbiz, mais il connaît l'oeuvre de Ferland depuis toujours. «Dans ma famille, on écoutait la grande chanson française. J'ai tous les disques de Ferland et je l'ai souvent vu en spectacle, mais je ne me considère pas pour autant comme un fan fini.»

Plein de sympathie pour son sujet, toutefois. «Il en faut pour travailler avec quelqu'un pendant deux ans», dit-il. Et pour trouver l'énergie pour écrire un ouvrage de 450 pages (sans les notes, offertes seulement sur internet).

Marc-François Bernier, qui a écrit sur des livres comme Journalistes au pays de la convergence et Les fantômes du Parlement, repousse ici les limites méthodologiques de la biographie «autorisée» en citant de très nombreuses sources. «J'ai voulu me protéger contre moi-même, éviter le piège de la complaisance et du déterminisme qui fait dire 'il avait ça en lui, voilà pourquoi il est devenu ce qu'il est'. J'ai donc essayé d'être le plus factuel possible. Les faits sont têtus.»

Et ce choix de citer les sources in extenso, avec les fautes et les redites, parfois sur des demi-pages comme dans le cas de Constance Walsh, une compagne de vie dont Ferland a fait son éclairagiste, même si la dame ne connaissait rien à la chose? «Ce qui est dans le livre, c'est exactement ce que les gens ont dit. Comme dans un grand reportage documentaire, je voulais donner à ces gens la chance de s'exprimer. En évitant les règlements de comptes. Et j'ai vu des affaires touchy, comme la séparation d'avec Dyanne (Lessard, la troisième femme de Jean-Pierre Ferland) que je n'ai pas touchée.»

Qu'en était-il quand Jean-Pierre Ferland se retrouvait confronté à quelque mauvais rôle, comme quand il dit à son fils, que sa blonde vient de quitter, qu'il ne sait pas ce que c'est une peine d'amour? «Il a souvent exprimé son désaccord, mais jamais il n'a essayé de me censurer. Par contre, il y a eu des tensions sérieuses, surtout sur des histoires touchant ses enfants, tellement que, à un moment donné, je me suis dit qu'il allait lâcher.»

Ici encore, la phase «lecture du manuscrit» mérite attention. Jean-Pierre Ferland, pour une raison ou pour une autre, se montrait incapable de lire les chapitres que son biographe lui envoyait. Sur écran ou sur papier. L'auteur et son éditeur ont donc trouvé «une belle voix féminine» pour enregistrer les textes que «J.P.» pouvait faire jouer dans ses écouteurs.

Qu'aura retenu le biographe avant toute chose? «La résilience de Jean-Pierre Ferland, sa capacité de se renouveler. L'ampleur de sa carrière d'auteur-compositeur-interprète quand on sait d'où il est parti. Félix, Léveillée, Vigneault avaient tous des bases musicales ou littéraires sinon universitaires; Ferland, lui, est parti de zéro.»

Et il a fabulé. «Jean-Pierre est un mystificateur sympathique, un menteur sincère. Il ne fait jamais ça pour faire du mal.»

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Jean-Pierre Ferland, Un peu plus haut, un peu plus loin. Marc-François Bernier. Éditions de l'Homme. 456 pages.

Extrait Jean-Pierre Ferland - Un peu plus haut, un peu plus loin

«Ce qui est arrivé de très malheureux, c'est que j'ai perdu mon temps sur l'argent, à aller chercher de l'argent. Je n'ai pas été assez sévère sur ce qui se montait. Et puis on a eu comme à peu près un mois de répétition et puis la première fois que j'ai vu Gala ç'a été à l'avant-première. Je l'avais jamais vue avant. Je l'avais même pas vue aux répétitions parce que je courais après l'argent... Je ne ferai plus jamais ça. » Robert Vinet reconnaît que d'envoyer «Jean- Pierre au front, ç'a été notre erreur », car il a beurré épais. Si bien que presque tous les billets sont vendus, mais, à cause des critiques, il n'y aura pas de supplémentaires qui assurent la rentabilité commerciale. Selon Vinet, les journalistes ont réagi à la promotion de Ferland en disant Toé mon tabarnak!