Pendant que le Québec et sa métropole essayent de réfléchir à ce Nous à redéfinir et à cet Autre qui semble contenu tout entier sous le voile islamique, les cités françaises retombent dans la violence au moindre soubresaut.

Et au Soudan, «la rue» réclame à grands cris la peine de mort pour l'institutrice britannique qui a permis à ses élèves de 7 ans de donner à un ourson de peluche le nom du prophète Mohammed. Le même jour, Oussama ben Laden, le «nouveau calife», exhorte les infidèles (ici, les pays européens) à quitter les terres islamiques (l'Afghanistan) où les a tirés le démon américain.

Pendant ce temps, à Bagdad, Kaboul et partout où leur lumineux destin les appelle, des dizaines de jeunes martyrs de l'islam ne vivent que pour le moment où ils actionneront le détonateur qui les enverra au paradis, garanti par les imams à ceux qui font triompher le Bien. Mais qui n'auront connu de la vie que misère et humiliation, «là où l'art est pauvre». Cette violence, à laquelle l'islam est souvent réduit, a une histoire, une histoire qui, d'aucuns peuvent le regretter, constitue la principale voie d'accès de bien des Occidentaux vers cette réalité vaste et complexe.

À cet égard, La Guerre cachée - Al-Qaeda et les origines du terrorisme islamiste, prix Pulitzer 2007, peut constituer un modèle. Pendant cinq ans, le journaliste Lawrence Wright (The New Yorker) s'est promené de Londres à Munich, de l'Égypte à l'Arabie Saoudite à la recherche des faits et des hommes - il a réalisé plus de 500 entrevues - pouvant expliquer le parcours de la pensée islamiste depuis la Deuxième Guerre mondiale.

Le tableau, fascinant, s'ouvre sur l'Égyptien Sayyid Qutb, propagateur de cette vision d'un islam «total et sans compromis». Qutb, un lettré, a étudié aux États-Unis et en est rentré convaincu que la laïcité, le matérialisme, l'individualisme, le mélange des sexes et la démocratie - qui «place entre les mains du peuple une autorité censée n'appartenir qu'à Dieu» - ont contaminé l'islam à travers le colonialisme». Son message aux musulmans: islam et modernité sont incompatibles et l'homme blanc doit être détruit «à la première occasion». Les Frères musulmans du Caire vont apporter leur contribution, dans une Égypte que Nasser voyait comme le centre du panarabisme, «moderne, égalitaire, laïc et industriel». Scénario récurrent au Moyen-Orient, souligne Wright, que ce choix entre une société militaire et une société religieuse.

L'année 1967 est celle de l'Expo, oui, mais c'est surtout celle de la défaite humiliante des armées arabes contre Israël dans la guerre des Six-Jours, «tournant psychologique de l'histoire moderne du Moyen-Orient». Et des musulmans, «jusqu'alors persuadés que Dieu était de leur côté». «Dans les mosquées, une voix nouvelle, plus stridente» en appelle à un retour à la religion «pure» dont les adeptes se vouent à la restauration du califat tel qu'il existait au VIIe siècle.

Au fil des pages apparaissent les personnages qui ont amené l'islamisme à sa stature actuelle. Comme le Dr Ayman al-Zawahiri, dirigeant d'Al-Jihad, un organisme voué à l'instauration d'une république islamiste en Égypte mais qui, au milieu des années 90, se fusionnera à Al-Qaeda dont il deviendra le chef idéologique. D'autres, inconsciemment, ont préparé «le terrain», comme Mohammed ben Laden, entrepreneur illettré à qui le gouvernement saoudien confiera la rénovation de la Grande Mosquée et de la mosquée du Prophète: un contrat de 18 milliards de dollars.

Un de ses 54 enfants, Oussama, «le lion», travaille aussi dans son entreprise, ce qui ne l'empêche pas de jeûner deux fois par semaine. Comme le Prophète, dont il suivra la voix jusqu'en Afghanistan où, avec l'aide américaine, il combattra l'envahisseur soviétique à la tête des moudjahidines. Ces «guerriers saints», lit-on dans La guerre cachée, ont peu combattu mais le folklore du jihad en a fait des héros plus grands que nature; à cet égard, Wright remet Oussama ben Laden, un stratège peu intelligent, à sa juste place au panthéon.

Le talent de ben Laden, on le sait maintenant, était ailleurs et a éclaté à la face du monde le 11 septembre 2001. Aucun répit depuis dans cette guerre totale où musulmans et «croisés mondialistes» s'affrontent à coups de bombes «voyantes» et de foi aveugle.

LA GUERRE CACHÉE - AL-QAEDÀ ET LES ORIGINES DU TERRORISME ISLAMISTE

Lawrence Wright Robert Laffont, 440 pages, 34,95$.