D'accord, l'expérience de lecture n'est pas aussi immersive que celle à laquelle les sept premiers Harry Potter nous avaient habitués. C'est que The Cursed Child, comme on l'a dit, précisé et répété, n'est pas un roman, mais bien le texte de la pièce de théâtre qui fait actuellement un malheur à Londres - et qui, selon la rumeur, sera montée l'an prochain sur Broadway après avoir fait un saut... à Toronto.

Bref, écrit à partir d'une idée originale de J.K. Rowling, par le metteur en scène John Tiffany et le dramaturge Jack Thorne, le texte se présente sous la forme de dialogues et de didascalies formant des scènes, des actes et des parties.

Le lecteur non initié à ce genre aura besoin d'un effort supplémentaire pour apprivoiser la forme. Mais le lecteur à qui l'univers de Harry Potter est familier finira par y trouver son compte... en tiquant sur certaines incongruités (les Retourneurs de temps ne semblent plus fonctionner de la même manière, par exemple), mais en comblant aussi par son savoir les vides laissés par l'absence de narration.

Or l'une des forces de J.K. Rowling se trouve dans ses descriptions des gens, des lieux, des émotions. Cela manque, bien sûr, à The Cursed Child.

Sauf que. Elle a au moins un autre atout, J.K. Rowling. C'est une formidable bâtisseuse d'intrigues. Avec elle, ce n'est jamais fini tant que ce n'est pas fini. Et si sa signature se trouve quelque part ici, c'est dans cet aspect-là. À dix pages de la fin, le récit prend encore le lecteur (ravi) au dépourvu. Et le laisse la gorge nouée dans les tout derniers moments. Car les grands thèmes qu'elle a si bien abordés jusqu'ici (la famille, la relation au père, l'amitié, le combat entre le bien et le mal) sont bien présents.

Dix-neuf ans plus tard

Les Moldus mordus de Harry Potter se trouvent donc ici en terrain familier, sans jamais s'y ennuyer. Parce que si The Cursed Child revient sur des épisodes passés, il le fait en compagnie de nouveaux personnages et de vieux amis qui ne sont plus tout à fait les mêmes (quoique...), car 19 ans ont passé depuis les événements dramatiques survenus dans Les reliques de la mort. «La huitième histoire. Dix-neuf ans plus tard», peut-on lire sur le quatrième de couverture.

On s'en souvient, le dernier tome de l'heptalogie se terminait en ouvrant une fenêtre sur ce qui est l'amorce du présent récit. Harry est marié à Ginny, ils ont trois enfants - dont Albus, qui va faire son entrée à Poudlard. Ron a épousé Hermione et leur fille, Rose, entre elle aussi à l'école des sorciers. Même chose pour Scorpius, le fils de Draco. Avec qui Albus, qui serait l'enfant maudit du titre, va se lier d'amitié. Ce qui ne plaît pas à leurs pères respectifs.

De quoi faire monter les tensions existant entre Harry et Albus. Il faut se le dire, ce n'est pas facile d'être le fils de Harry Potter. Ce dernier traîne en effet sa gloire passée, même s'il est devenu... fonctionnaire. Bon, il occupe un poste important au sein du ministère de la Magie et il ne manque pas de travail, au contraire. Mais quand même. Après tout ce qu'il a vécu, passer au ronron quotidien?

En tout cas, nous, lecteur, on s'ennuie pour lui.

Jusqu'à ce que le destin et J.K. Rowling ne lui mettent des bâtons dans les roues, alors qu'un Retourneur de temps refait surface. Eh oui, l'une de ces petites machines à voyager dans le temps que l'on croyait toutes détruites a survécu à la grande bataille racontée dans L'ordre du phénix.

Albus et Scorpius, pleins de bonnes intentions, vont vouloir l'utiliser pour réparer une erreur, une injustice, commise autrefois. Avec les conséquences que l'on imagine. Oups! Que J.K. Rowling a imaginées, plutôt.

Personnages à creuser

Des revirements étonnants. Qui donnent envie, d'abord, de voir la pièce pour découvrir comment ce qui est sur papier se traduit en direct, sur scène. Ensuite, de relire la «moins aimée» Coupe de feu.

Enfin, de pouvoir lire un jour une version romanesque de cette histoire qui, malgré ses qualités, demeure vue de l'extérieur puisque destinée, justement, à être vue.

Une partie de son terreau, celui de nature plus psychologique et émotive, est à peine utilisée : les autres enfants de Harry et Ginny, et ceux de Ron et Hermione, ne sont que des noms prononcés ici et là; certains nouveaux personnages, l'un d'entre eux en particulier (on n'en dira pas plus pour ne rien divulgâcher), demandent à être approfondis pour trouver une place naturelle et convaincante dans le canon «pottérien».

On se croise donc les doigts pour que J.K. Rowling s'attelle à cette tâche-là... bien qu'elle ait dit que The Cursed Child était destiné à la scène, point. Mais qui sait. Même les studios Warner, qui ont adapté les sept tomes de la saga, font des démarches pour que le récit passe au grand écran.

Bien des points d'interrogation à l'horizon. Une chose est sûre toutefois: publiée chez Gallimard, la traduction française du livre, Harry Potter et l'enfant maudit, nous arrivera le 14 octobre.

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Harry Potter and the Cursed Child (Parts One and Two-Special Rehearsal Edition Script). J.K. Rowling, John Tiffany et Jack Thorne. Arthur A. Levine Books, Scholastic. 325 pages.

photo Neil Hall, reuters

Le texte de la pièce Harry Potter and the Cursed Child, qui fait présentement un malheur à Londres, est sorti en librairie hier.

photo Neil Hall, reuters

Le Palace Theatre de Londres, où est présentée la pièce Harry Potter and the Cursed Child.