La prestigieuse revue littéraire Granta consacre son dernier numéro à la littérature canadienne. Au total, 28 textes, dont ceux de Margaret Atwood, Douglas Coupland, Dominique Fortier, Larry Tremblay et Fanny Britt. Cette livraison spéciale, dirigée par les auteures Catherine Leroux et Madeleine Thien, est lancée ce soir à Montréal. Entrevue.

Fondée à Cambridge en 1889, la revue Granta est une référence incontournable dans le monde littéraire anglo-saxon. Il y a longtemps que la rédaction, aujourd'hui à Londres, voulait consacrer un numéro à notre beau et grand pays. Le 150e anniversaire de la Confédération lui en a fourni le prétexte.

«Madeleine Thien s'est retrouvée l'an dernier dans un souper du prix Booker aux côtés de la propriétaire de la revue, raconte Catherine Leroux. C'est à ce moment-là que s'est concrétisée l'idée. Puis elle m'a demandé de me joindre à elle pour diriger le numéro. J'ai tout de suite accepté.»

L'appel de textes a eu lieu début janvier. Trois semaines plus tard, les deux auteures avaient reçu un millier de soumissions, la plupart en anglais. 

«Granta est très réputée au Canada anglais, mais c'est une revue qui est beaucoup moins connue du côté francophone, ce qui explique le taux de réponse moins élevé au Québec, explique Catherine Leroux. J'ai donc appelé certains auteurs chez des éditeurs-clés, en espérant que le mot se passe. Nous avions également commandé des textes à certaines personnes que nous voulions absolument voir dans ce numéro, comme Benoit Jutras, Fanny Britt et France Daigle.»

Ici, maintenant

Pas de thème imposé pour ce numéro «canadien», et surtout pas le 150e anniversaire de la Confédération. 

«La question que nous posions aux auteurs était la suivante: qu'est-ce qu'on imagine ici, maintenant?», explique Catherine Leroux, qui était à Londres la semaine dernière pour le premier de trois lancements (il y en a eu un à Toronto en plus de celui de Montréal, ce soir, à la librairie Drawn & Quarterly). «On voulait prendre la température de l'eau. On a cette image du Canada comme d'un beau grand pays, gentil et poli où tout le monde dit "s'il vous plaît" et "merci". Or, ce n'est pas vrai que c'est un pays parfait et lisse, on l'a vu dans les textes qu'on a reçus.»

«Il y a des enjeux difficiles, des enjeux qui ont refait surface avec ce 150e. On le sentait intuitivement et les textes que nous avons reçus nous ont prouvé qu'on ne s'était pas trompées.»

Le Canada est à un moment charnière, estime l'auteure du roman Le mur mitoyen. Il y a un inconfort, par exemple, autour de la question du sort des Premières Nations. «Un voile s'est levé au cours des dernières années, on ressent le malaise dans la production littéraire.»

Catherine Leroux a également noté des préoccupations autour de la question linguistique.

«Au Québec, on a l'impression d'être les seuls à réfléchir à la langue, mais les Acadiens aussi se posent des questions. Et les autochtones aussi, comme le montre bien le texte de Naomi Fontaine. Pour eux, la langue est une question de vie ou de mort. Il y a aussi les immigrants de première et deuxième génération qui s'interrogent. Bref, la langue, au Canada, ce n'est pas simple.»

Le thème de la violence familiale et domestique est aussi remonté à la surface dans certains textes. «Ça, on ne l'avait pas prévu, souligne Catherine Leroux. Or, c'est un thème fort dans ce numéro.»

Littérature en santé

Les deux écrivaines sont emballées par ce numéro 141 qui montre bien, selon Catherine Leroux, que la littérature canadienne est en santé.

«On a remarqué un petit côté expérimental et aventureux, des formes nouvelles dans l'écriture, souligne-t-elle. Personnellement, j'ai fait de belles découvertes du côté anglophone.»

Une livraison importante, donc, qui crée des ponts et ouvre la discussion, «ce qui est essentiel si on veut vivre en harmonie dans ce pays», observe l'écrivaine.

On lit le numéro Canada de Granta pour...

Mangilaluk's Highway, de Nadim Roberts

«En 2014, on a inauguré l'autoroute qui relie les villes de Tuktoyaktuk et Inuvik, dans le nord du pays. Roberts raconte l'histoire de trois garçons qui font ce trajet à pied, et de la vie du seul des trois qui a survécu, explique Catherine Leroux. C'est une très belle histoire qui parle des autochtones et de résilience. C'est très puissant.»

Golgotha, de Benoit Jutras

«Il faut tout lire ce qu'écrit Benoit Jutras, insiste Catherine Leroux. C'est bouleversant, riche, dense. Il y a une poésie, des images fortes.»

Life of the Father, d'Alain Farah

«C'est le premier chapitre de son prochain roman. Il parle de son père. C'est très différent de Pourquoi Bologne

Sur le site de Granta, on trouve plusieurs textes qui ne sont pas publiés dans la version papier, dont un extrait du prochain roman d'Andrée A. Michaud. L'accès est gratuit.