Chaque mois, nous vous proposons le portrait d'un libraire qui pratique son métier dans une librairie indépendante. Cette semaine : Shannon Desbiens, de la librairie Les Bouquinistes de Chicoutimi, qui a reçu en mai le Prix d'excellence de l'Association des libraires du Québec.

Libraire : profession ou vocation ?

Vocation. Je crois avoir toujours été libraire. Mes parents avaient beaucoup de livres et j'adorais parcourir nos bibliothèques afin de me trouver une nouvelle lecture. Les sujets étaient variés, entre romans d'amour, historiques et science-fiction et livres sur l'histoire. Les encyclopédies et les dictionnaires étaient usés à la corde ! Très vite, je me suis mis à prêter ou suggérer tel ou tel titre à mes amis. J'ai toujours eu des centaines de bouquins à la maison, même dans mes années les plus creuses. J'aime l'objet autant que le contenu. Lorsque j'étais plutôt pauvre, je magasinais les livres par l'épaisseur de leur tranche dans les librairies de livres usagés. Ça m'a permis de connaître beaucoup de classiques, d'Alexandre Dumas à James Fenimore Cooper. Depuis que je suis libraire, afin de lire un maximum de livres, je m'attaque beaucoup moins aux pavés... Malheureusement.

Combien de livres lisez-vous par année ?

Je ne m'étais jamais vraiment posé cette question auparavant. Je suis papa depuis sept ans maintenant, ce qui joue pas mal sur le temps de lecture que je peux avoir... Avant, je devais en lire pas loin d'une dizaine par mois, toutes catégories confondues. Maintenant, je tente de maintenir le rythme avec un minimum de deux romans par mois. Au travers, j'adore lire les livres de cuisine (environ deux par mois aussi), autant de bédés et parcourir les livres sur l'histoire (le livre sur l'Histoire inédite des Patriotes en images d'Anne-Marie Sicotte est magnifique !!). Bref, je dois approcher la centaine de livres par année, sinon un peu plus. Comme j'aime me faire raconter des histoires, je dois me confesser et dire que les mosus de séries télé prennent pas mal trop de place dans mon temps de lecture. Ah... Si nous pouvions mettre le temps sur pause...

Quelle est la question la plus étrange qu'on vous a posée ?

C'est une chose que je me promets régulièrement de faire par écrit : noter toutes les questions insolites ou étranges qui nous arrivent en librairie car, lorsque vient le moment (comme maintenant) d'en sortir une, je dois toujours prendre un moment de réflexion... Il y a les appels, les gens qui cherchent de l'information sur la définition d'un mot, un fait historique ou une personnalité connue et qui croient que nous avons réponse à tout ! C'est surprenant ! Sinon, il y a le fameux : « Je cherche un petit livre jaune, haut de même, me semble que ça traite de spiritualité... Ça a passé à TV v'là quelques mois, me souviens plus où... Avez-vous ça ? » Nous devenons de vrais enquêteurs à force de chercher des indices pour trouver les titres ou les auteurs demandés !

Quelles sont les qualités d'un bon libraire ?

Je crois que la règle numéro un est de rester soi-même. Il faut ensuite beaucoup d'empathie, car on ne veut pas imposer nos lectures et coups de coeur à quelqu'un, mais bien trouver le livre qui lui fera vivre un bon moment. Alors, beaucoup d'écoute, surtout lorsque cette personne parle de ses dernières lectures ! Comme vous savez, on ne lit pas tout, malheureusement. Alors, les commentaires de ma clientèle sont importants pour conseiller d'autres clients qui ont les mêmes goûts. Il faut aimer le livre et son univers, car, contrairement à la croyance populaire, nous ne lisons pas derrière le comptoir (soupir...). C'est un travail technique : recevoir nos boîtes, informatiser le produit, les étiqueter, les placer sur les étagères, sortir les vieux titres, les retirer du système et les retourner au fournisseur. C'est la perspective d'ouvrir un coffre aux trésors chaque fois qui alimente un libraire passionné et, bien sûr, de répandre la bonne nouvelle !

Quel livre avez-vous le plus souvent suggéré ?

C'est sans hésiter Maus d'Art Spiegelman. C'est à ce jour le livre qui m'a marqué le plus. Pour les gens intéressés par l'histoire de la Shoah, les fans de romans graphiques, ceux qui aiment les tragédies, etc. C'est le livre par excellence. J'ai beaucoup de clients qui se sont remis à la bande dessinée par l'entremise de ce titre. Ce qui est chouette avec la traduction française, c'est qu'elle a été faite sous la supervision de la femme de l'auteur, alors elle ne peut pas être plus près de l'original que ça ! Du côté québécois, le livre que je suggère depuis mes débuts et qui reste dans le top 5 de mon palmarès est La conscience d'Éliah de Guy Lalancette. C'est un auteur qui mériterait d'avoir plus de lecteurs encore ! Un roman dur et sombre, mais si bien ficelé.

Quel est l'avenir des librairies indépendantes ?

Je crois que si les libraires propriétaires et leur équipe continuent de dynamiser leur librairie et tirer leur épingle du jeu, celles-ci vont rester. Être membre des LIQ ou de l'ALQ permet à la majorité des librairies indépendantes d'avoir des outils et du soutien pour assurer la pérennité de leur commerce et la force d'un regroupement aide aussi à se tenir debout et fort devant les gros acteurs de l'industrie qui aimeraient bien modifier certaines règles du jeu. Selon moi, le livre papier ne sera jamais supplanté. Et tant qu'il y aura des livres, il y aura des lecteurs et des libraires pour mettre en valeur des titres aux puissances insoupçonnées !