La nuit de feu fait immédiatement penser aux contes philosophiques de Paulo Coelho. Éric-Emmanuel Schmitt, alors âgé de 28 ans, y fait le récit d'une nuit mystique passée dans le désert du Hoggar, en Algérie, alors qu'il s'était égaré. C'était en 1989. Tout ce qui s'y trouve est vrai, nous assure-t-il, même s'il y a une «construction» dans ce récit.

Le prétexte? Un ami réalisateur prépare un film sur Charles de Foucauld, ex-militaire de la France coloniale qui a vécu parmi les Touareg. Schmitt, engagé comme scénariste, s'y rend pour marcher dans les pas de l'homme devenu croyant. Cherchait-il à vivre une expérience mystique? Aujourd'hui encore, il dit ne pas savoir.

«Je n'ai jamais cherché ce que j'ai trouvé. Je ne suis pas allé dans le désert pour trouver Dieu, dit-il. À l'époque, c'était plus une retraite qui me permettait de réfléchir à ma propre vie. C'était une recherche de sens.

«J'étais très centré sur moi-même. Depuis cette expérience, je ne suis plus le centre. J'ai un rapport à l'inconnu qui en est un de confiance.»

Si Ma vie avec Mozart raconte comment le compositeur autrichien l'a aidé à surmonter une grave dépression à l'âge de 15 ans, La nuit de feu, son 40e ouvrage, raconte l'expérience spirituelle qui mènera Éric-Emmanuel Schmitt à se consacrer à l'écriture. «L'écrivain que je suis est né dans le désert», nous dit-il.

Pourquoi avoir attendu tout ce temps avant d'écrire ce livre? «C'est peut-être le seul livre qui a été désiré par les autres avant d'être désiré par moi. Les gens me demandaient: "Comment vous faites pour parler de choses graves sans déprimer? D'où vous viennent cette lumière et cet optimisme?" La réponse, c'est cette expérience au Sahara où j'ai reçu la grâce de la foi.»

Même si cette virée dans le Sahara a eu lieu il y a 25 ans, ses souvenirs étaient intacts. «Tout était là. Il suffisait d'aller les chercher. Même mon corps se souvenait quand j'écrivais mon histoire. C'est tellement vrai que lorsque j'ai écrit le passage sur ma nuit passée seul sous la montagne, j'ai cru que je faisais un infarctus. J'ai dû être transporté à l'hôpital!»

Sa révélation, il la résume comme un «sentiment de la plénitude de sens et la rencontre d'un grand autre». «Tout change après, croit-il. Je veux que la foi soit modeste et que la raison soit modeste. La foi n'est pas un savoir, c'est un moyen d'habiter l'ignorance, de vivre dans le mystère avec confiance.»

De l'écriture à la scène

Depuis trois ans, le prolifique auteur monte sur scène une dizaine de fois par année pour incarner le personnage de Momo, au coeur de son roman Monsieur Ibrahim et les fleurs du Coran, paru en 2001. On s'en souvient, Momo, jeune juif de 12 ans, se lie d'amitié avec l'épicier musulman du coin, Monsieur Ibrahim. Le roman avait été adapté au cinéma deux ans plus tard, le personnage de l'épicier étant interprété par nul autre qu'Omar Sharif. Un jour où l'acteur et chanteur Francis Lalanne ne pouvait pas interpréter le rôle de Momo, Éric-Emmanuel Schmitt a accepté de le remplacer. Depuis, c'est lui qui le joue. Et au mois de février prochain, il reviendra à Montréal le temps de deux représentations. Comment a-t-il vécu cette première expérience d'acteur? «C'est comme une guérison de la solitude de l'écrivain. Il y a un partage d'émotions qui est extraordinaire. Mais c'est une énergie complètement différente.»

_____________________________________________________________________________

Monsieur Ibrahim et les fleurs du Coran, les 19 et 20 février, à la salle Pierre-Mercure, dans le cadre du festival Montréal en lumière.

Souvenir de Salon

Éric-Emmanuel Schmitt n'a pas attendu d'être invité d'honneur pour venir au Salon du livre de Montréal. C'est un habitué de l'événement, et nous lui avons demandé de nous raconter un souvenir de ses passages ici. «À Montréal, plusieurs fois lors des signatures, de grands acteurs canadiens qui avaient joué mes pièces ont fait la file, comme tout lecteur, afin de venir me dire un mot gentil. Impensable à Paris! Aucun acteur ne prendrait place au milieu du public: il se servirait de sa notoriété comme d'un coupe-file, il s'imposerait devant tout le monde, il arriverait en hélicoptère sur le stand... C'est à ces occasions que j'ai conceptualisé que, même si le peuple a fait la Révolution en 1789, la France reste un pays de privilèges. Depuis mes voyages à Montréal, je sais que Paris, c'est la cour de Versailles.» - Aleksi K. Lepage, collaboration spéciale