Quand 200 artistes et 6000 spectateurs se rejoignent autour des mots, on peut parler d'une fête. On le verra encore au populaire Marché de la poésie au métro Mont-Royal et on l'entendra partout en ville grâce aux efforts conjugués du 15e Festival de la poésie et du 1er Pavé poésie, qui commencent aujourd'hui et se poursuivent jusqu'au 8 juin. Nous vous présentons trois jeunes poètes qui participent à l'événement.

Michaël Trahan : Mots et maux

Âge: 29 ans

Recueil: Noeud coulant, Le Quartanier (2013), prix Émile-Nelligan

Credo: «La poésie n'existe pas.»

Activités principales: poète, enseignant, doctorant en littérature à l'Université de Montréal

Michaël Trahan a terminé d'écrire Noeud coulant, son premier recueil, il y a un an. Depuis, il a avancé un roman et son doctorat. Depuis, avant et pendant aussi, il a lu et réfléchi, beaucoup. Sérieux, mais pince-sans-rire. Sa poésie précise fait montre d'une grande maîtrise, d'un grand soin accordé à la forme, aux sons, au langage. Entre mots et maux, à mi-mots.

Poésie, poésie?: «La poésie, c'est parfois le genre fourre-tout de l'expérimentation littéraire. On renvoie tous les textes un peu bizarroïdes du côté de la poésie. C'est un travail minutieux. On change une virgule et on n'en dort pas pendant trois jours.»

Première fois: «J'ai écrit le recueil pendant une pause de l'écriture de mon roman. La poésie me permet de faire un travail formel tout à fait différent du roman. Un poème est comme un monde à usage unique. Quand on commence un poème, on lit un mot, deux, trois. Tout un monde se met en place et il disparaît au bout de la lecture. C'est une forme assez courte qui est spontanément à la portée de ceux et celles qui s'intéressent à la chose littéraire. Mais chaque poème est plus difficile à écrire que le précédent.»

Parti pris: «J'aime les livres qui font tomber les masques, les écrivains qui pratiquent la littérature comme un exercice de nudité, pas narcissique, mais intime comme le journal de Kafka. C'est fou que, 100 ans plus tard, ça me touche à ce point. La poésie, ce n'est pas une formule magique, mais ça possède une performativité radicale.»

Projet: «Je travaille depuis sept, huit ans sur un roman qui est devenu un peu monstrueux. À un moment donné, j'ai frappé un mur. C'est là où je me suis mis au travail sur le recueil qui est devenu, l'espace d'un an, un livre-parenthèse. J'ai entre 700 et 800 pages écrites, mais je devrai couper. De plus, j'ai changé depuis le début de l'écriture. Ça commence à être lourd. J'aurai l'impression d'avoir écrit 10 romans quand je le terminerai.»

Post-scriptum: Noeud coulant est en lice pour le Prix du Festival de la poésie avec Des voix stridentes ou rompues de Martine Audet, Mon dinosaure de François Turcot et Vivier, Claude d'Étienne Lalonde.

Natasha Kanapé Fontaine : Innue assise

Âge: 23 ans

Recueils: N'entre pas dans mon âme avec tes chaussures (2012), Manifeste Assi (2014)

Credo: «La poésie est ma cérémonie.»

Activités principales: poète, comédienne, slameuse, militante

La terre du peuple (Innu Assi dans cette langue qu'on disait autrefois montagnaise) est immense. S'y investir et se l'approprier représente presque une vocation. Natasha Kanapé Fontaine occupe déjà une place importante parmi ceux et celles qui nomment ce monde aux confins de l'intime et du géant. Rien ne semble lui faire peur dans cette quête identitaire. Sa détermination tranquille se lit dans son regard et dans ses mots qui brûlent.

Poésie, poésie?: «La poésie est une remise en question constante. Elle est une mangeuse d'âme; elle souhaite tellement soutirer le meilleur de nous tous qu'elle s'immisce en chacun pour provoquer des manifestations intérieures, puis extérieures. La poésie n'est pas qu'écriture; elle est une vie entière où les dons de soi s'échangent avec d'autres dons de soi. Je ne peux rationaliser la poésie. Il faut l'écouter en silence, dans le creux de son oreille.»

Première fois: «Je voulais devenir artiste visuel, mais plein de choses dans ma vie, en peu de temps, m'ont fait bifurquer. Sans m'en rendre compte tout de suite, j'ai toujours été intéressée par la quête identitaire même si je n'arrivais pas à le verbaliser. Des professeurs m'ont encouragée, des auteurs aussi, comme Joséphine Bacon et Naomi Fontaine. Découvrir qu'il existait des écrivains autochtones a changé ma vie. J'ai commencé par le slam, un peu par hasard. J'ai eu la piqûre. Mes premiers textes ressemblaient plus à des poèmes trop longs que je lisais.»

Parti pris: «J'écris pour la collectivité, qui me nourrit, mais qui, j'espère, peut y trouver quelque chose pour transcender ses propres émotions. J'entre totalement dans mes émotions et les laisse rebondir par-dessus moi afin de les donner à d'autres personnes. Je verrais la poésie d'une autre manière si ce n'était que de mon héritage culturel, intellectuel et langagier.»

Projet: «Je me suis remise à écrire du slam. Je donne des ateliers aux enfants de l'école secondaire d'Opitciwan aussi en Haute-Mauricie.»

Post-scriptum: Un vidéopoème de son texte Je me retire écorce est accessible par des affiches en ville et sur videopoeme.com. Natasha Kanapé Fontaine fait partie des poètes participant à la soirée du Festival le 6 juin, à 20h30, O Patro Vys.

Laurance Ouellet Tremblay : Crier au loup

Âge: 28 ans

Recueils: Était une bête (2010), Salut loup! (2014)

Credo: «Écrire, c'est accepter le faux pas, ignorer là où l'on va.»

Activités principales: poète, enseignante, doctorante en littérature à l'UQAM

Née à Chicoutimi, Laurance Ouellet Tremblay conserve un léger accent saguenéen. À l'écriture, les bêtes rôdent et respirent le grand air. Mais sa poésie est surtout celle d'une grande liberté qui s'assoit un instant, dans Salut loup!, au bord du lit défait de l'amour de travers, d'une presque crise, de l'explosion.

Poésie, poésie?: «La poésie, j'y crois. J'y vois quelque chose qui est toujours fondamentalement novateur pour l'homme. C'est une manière de s'exprimer toujours novatrice. J'ai foi en cela. Elle est passée par différentes époques, mais la poésie ne disparaîtra pas parce qu'on a aujourd'hui des tablettes électroniques. Il y a plusieurs jeunes intéressés par la poésie de nos jours. C'est très vivant comme milieu à Montréal. On veut atteindre plus de visibilité, mais on ne convaincra jamais tout le monde de lire de la poésie.»

Première fois: «Quand on est une fille de 12 ans sensible aux mots et qu'on est en amour, écrire un poème d'amour, ça tombe sous le sens. Les premiers poèmes avaient les mots «amour» et «toujours». Mon premier poème en vers libres, c'est arrivé à 20 ans. Ça fonctionnait, ça se pouvait. Ma démarche commençait à se construire. C'était du mimétisme avant.»

Parti pris: «Ma pratique de la littérature a quelque chose d'éthique. Ça me fonde et me définit énormément. Je n'arrive pas à croire à la morale. Je n'ai pas de morale, mais j'ai une éthique, une manière de penser et de voir le monde que je souhaite cohérente. Ma pratique de la littérature a créé mon éthique de vie. Ç'a créé ma manière d'être au monde et dans la société.»

Projet: «Mon prochain projet est une novella, une longue nouvelle. Je n'arrive pas à écrire un roman. Je travaille davantage par voix que par histoires. Des voix affleurent à mon oreille et je les écris. J'ai entendu la voix d'un homme qui fait des décors dans un théâtre. Je ne sais pas encore son histoire. Je crois qu'elle va venir au fil de l'écriture.»

Post-scriptum: Laurance Ouellet Tremblay peut être entendue sur la ligne poétique (514 700-2117) et sera en lecture le 8 juin, à 14h, sur la scène Mont-Royal/Saint-Hubert.