Mort à 28 ans, Emmanuel Cocke est un grand oublié de la littérature québécoise. Une biographie raconte sa courte vie et sa carrière fulgurante, qui se résume à cinq romans, quelques nouvelles, un court métrage et une poignée d'articles dans les magazines.

Emmanuel Cocke est mort le 19 septembre 1973, après s'être brisé les vertèbres dans le golfe du Bengale. Il n'avait que 28 ans.

À l'époque, la nouvelle n'est pas passée inaperçue. Dans les jours suivant sa mort, plusieurs médias québécois, dont La Presse et Le Devoir, ont rendu hommage au jeune écrivain d'origine française, qui avait choisi de faire carrière à Montréal.

Cocke venait alors de publier cinq romans en deux ans et il était considéré comme un espoir de la littérature québécoise underground. Son nom circulait dans les milieux du cinéma, du journalisme et de la musique. Mort prématurément, il avait tout pour devenir un auteur-culte.

Mais étrangement, c'est le contraire qui s'est produit. Non seulement Emmanuel Cocke n'est pas devenu culte, mais il est carrément tombé dans l'oubli. Après sa disparition, son souvenir s'est envolé dans la fumée de pot des années 70, et ses livres sont devenus introuvables.

Désolante injustice, qui est toutefois sur le point d'être réparée, avec la réédition de ses cinq romans et la publication d'une biographie signée Ralph Elawani (C'est complet au royaume des morts), qui sort cette semaine aux éditions Tête Première. Cette ambitieuse opération, qui survient 40 ans après sa mort, pourrait lui redonner la place qu'il mérite.

Une place ambiguë

Cocke n'était pas seulement un auteur. C'était un véritable touche-à-tout. En France, il avait fait du cinéma avec Claude Lelouch et réalisé un court métrage (Musika), mis en musique par un certain Michel Legrand. Au Québec, où il s'est installé en 1965, il a porté tous les chapeaux. Critique littéraire, musicien, réalisateur, poète, scénariste, journaliste, organisateur de concerts pendant Expo 67, prof de cinéma et, bien sûr, écrivain.

Ses intérêts, comme ses relations, étaient éclectiques. Il gravitait dans l'underground et fréquentait la faune hip de l'époque (Patrick Straram, l'Infonie, Charlebois), mais était aussi un ami de l'acteur populaire Daniel Pilon. Il publiait des articles dans des magazines grand public comme Perspectives, mais aussi dans des revues érotiques comme Proscope, le «Playboy québécois».

C'était un écrivain sérieux (enfin, presque), mais il pouvait se mettre à poil pour ses photos de promotion.

Bref, sa place était ambiguë. «Il n'avait pas de clan, il était au croisement de plusieurs choses. Il se considérait lui-même comme un outsider et un one man show», résume son biographe Ralph Elawani.

Unique, Cocke l'était aussi dans ses romans. Fils spirituel de Norman Mailer et Boris Vian, le jeune écrivain a inventé un style bien à lui (la «filmécriture»), qui conjuguait science-fiction, psychédélisme, érotisme et humour décalé, avec toutes sortes de néologismes et de mots inventés.

«Il se servait de tous les genres, c'était un melting pot ambulant», résume Elawani.

Son premier livre, Va voir au ciel si j'y suis, publié aux éditions du Jour, a été très bien reçu. Le suivant (L'emmanuscrit de la mer morte), un peu moins. Ses trois derniers romans (Louve Storée, Sexe pour sang et Sexe-fiction) ont été écorchés par la critique, qui l'avait notamment comparé à un «Joe Dassin de la littérature québécoise».

Avec du recul, Ralph Elawani croit que Cocke méritait mieux. «Certains le trouvaient trop dans l'air du temps. Mais sa voix était singulière. Il sortait du cadre. Son oeuvre était ouverte. C'est pour ça qu'elle a bien vieilli.»

Électron libre

Fan avoué d'Emmanuel Cocke, Elawani espère que sa biographie réhabilitera l'auteur et le personnage.

Mais son livre, dit-il, ne raconte pas seulement l'histoire de Cocke. Il fait aussi le portrait de la scène contre-culturelle du Québec des années 60 et 70, époque fébrile et flyée, qui a donné naissance à des oeuvres mémorables et à une génération d'artistes particulièrement intéressants qui, à l'instar de Cocke, n'ont pas tous eu la reconnaissance méritée. De Claude Péloquin à Lucien Francoeur en passant par Victor Lévy-Beaulieu et Arthur Cossette des Sinners, plusieurs «acteurs» de cette période témoignent d'ailleurs dans le bouquin.

Ovni venu de France, Emmanuel Cocke était une sorte d'électron libre dans cet univers bouillonnant. Moins politisé que d'autres, il avait choisi la voie du ludique et du fantastique. Sa littérature n'était ni française ni québécoise, mais un peu des deux. Mort trop jeune, il n'a pas eu le temps de faire sa marque. Inclassable, il a été relégué à la marge, avant de passer à la trappe de l'Histoire.

Il était temps de lui donner une seconde chance. «Il est passé comme une comète, conclut Ralph Elawani. Mais il fallait le déterrer à un moment donné. Pour moi, c'était un devoir de le remettre au jour.»

À LIRE

C'est complet au royaume des morts: Emmanuel Cocke, le cascadeur de l'esprit, Ralph Elawani, Tête Première.

Va voir au ciel si j'y suis/L'emmanuscrit de la mère morte, Emmanuel Cocke, Tête Première.

Louve Storée/Sexe pour sang/Sexe-fiction, Emmanuel Cocke, Tête Première.