Jusqu'à leur disparition au XIXe siècle, on appelait «cabinet de curiosités» ces lieux où étaient exposés des objets hétéroclites et étranges, mêlant histoire naturelle, instruments scientifiques et oeuvres d'art. Et si le cabinet de curiosités se trouvait désormais du côté de la littérature, où abondent depuis quelques années ouvrages hybrides et autres miscellanées? Petit dossier hirsute et éclaté sur le phénomène.

Les miscellanées sont à la littérature ce que le mesclun est à la salade: un mélange! De genres, de tons, d'anecdotes. Depuis le succès mondial du petit (et beau) livre Les miscellanées de Mr Schott, du Britannique Ben Schott, le mot et le concept ont repris du service, et il ne se passe pas une semaine sans que soit publié un de ces livres inclassables qui tiennent parfois de l'almanach ludique, parfois du traité scientifique souriant. Miscellanées ou autres, comment expliquer l'accueil fait à tous ces ouvrages aux allures d'encyclopédies des petits riens?

Mais avant tout, y a-t-il, oui ou non, phénomène? «On pourrait même dire une déferlante, renchérit Gabrielle Cauchy, attachée de presse responsable du secteur Essais chez Diffusion Dimedia, l'un des plus importants diffuseurs et distributeurs de livres de langue française au Québec. Il y a environ trois ans, nous avons été forcés, oui, agréablement forcés, de créer, dans notre catalogue, une section spéciale qui regroupe tous ces ouvrages. Or, même désigner cette section est difficile, elle a été baptisée de toutes sortes de façons: "curiosités", "inclassables", cette année, ce sera "pêle-mêle pour les curieux"!»

Comment en effet classer Une histoire de tout, ou presque, de l'Américain Bill Bryson, qui traite de chimie, de physique, de paléontologie, de mécanique quantique et de tout ce que l'être humain a découvert au fil des siècles, mais à l'aide d'anecdotes et d'historiettes (prix Aventis du meilleur livre de vulgarisation scientifique et prix Descartes pour la communication scientifique)? Le même Bryson publiant par ailleurs des livres sur le même ton, mais portant sur la langue anglaise et les voyages?

Et comment classer les ouvrages hétéroclites de Ben Schott, les petits livres à saveur économique de Carlo M. Cipolla, les publications à caractère scientifique d'Édouard Launet ou tous ces étranges livres qui ont pour titres Dictionnaire des chiens illustres (tome 1: chiens réels), Les hémorroïdes de Napoléon ou Le Mont-Blanc n'est pas en France et autres bizarreries géographiques?

Traits communs du livre hors du commun

Chose certaine, ils ont une influence indéniable, et on voit de plus en plus apparaître des publications qui en empruntent le ton ou la mise en page. En parallèle, on assiste à la réédition de livres parus il y a plus d'un siècle, qui possèdent ces «qualités»: Paris n'existe pas de Paul-Ernest de Rattier (édité chez Allia, d'abord paru en 1857) ou Code galant ou Art de conter fleurette de Horace Raisson (édité chez Manucius, d'abord paru en 1829) en sont de «récents» exemples.

En étudiant tous ces ouvrages, on voit pourtant certains traits communs émerger. La plume humoristique, souvent ironique ou sarcastique, alliée à un propos autrement sérieux. La rédaction en vignettes plutôt qu'en texte suivi. La possibilité de lire ces livres en piochant au hasard, en glanant en toute liberté. «Ils ont souvent une construction encyclopédique mais en abrégé, pourrait-on dire paradoxalement, remarque Gabrielle Cauchy. Et derrière l'humour, il y a toujours un fond sérieux, étayé, une fonction d'apprentissage ou d'éveil de la curiosité du lecteur.»

L'importance accordée à leur mise en page est par ailleurs indéniable. Et le goût marqué de leurs auteurs pour la typographie et l'iconographie du XIXe est flagrant: polices de caractères, illustrations à l'ancienne, etc. Nostalgie du «livre d'antan» ? Ou est-ce parce que cet âge d'or de l'édition que fut le XIXe siècle coïncidait justement avec la parution d'ouvrages hétéroclites, de «cabinets de curiosités» littéraires, qui mêlaient style littéraire et connaissances de toutes sortes? Chose certaine, tant Ben Schott que Bill Bryson, pour ne nommer que ceux-là, se chargent personnellement de la mise en page de leurs ouvrages, parce qu'elle participe autant à leurs livres que les recherches et la rédaction.

Mais au fond, peut-être n'est-ce pas du tout un hasard si ce type de livre inclassable connaît aujourd'hui un tel engouement. Qu'on y songe un instant: articles courts, lecture accessible, contenu éclaté, bribes d'informations présentées de façon ludique, liens de toutes sortes, à quoi cela fait-il donc penser?

À l'internet. À la lecture au temps du numérique.

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Du côté anglo-saxon 

Miscellanées comme dans... miscellaneous: les livres à la fois hétéroclites, bizarres et farfelus - ce qui n'exclut jamais une part de sérieux - ont toujours eu la cote dans les pays anglo-saxons, particulièrement en Angleterre. Fervents d'absurde et d'inattendu, d'humour décalé et d'autodérision, les Anglo-Saxons ne se contentent pas d'écrire de tels ouvrages, ils concoctent aussi des sites où sont répertoriés les livres les plus curieux qui soient, dont ceux-ci.

Weird Book Room

(abebooks.com/books/weird)

Neil Gaiman, auteur-culte des SandmanCoraline et compagnie, est un fan fini de ce site, inventaire de (vrais) livres weird établi par les journaux The New York TimesThe Globe and Mail et les quotidiens britanniques The Times of London et The Guardian. Des exemples? The Mime Alphabet Book (L'alphabet du mime), The Art of Faking Exhibition Poultry (L'art de simuler un concours de volaille), Crafting With Cat Hair (Artisanat avec des poils de chat), Pets Who Want to Kill Themselves (Ces animaux qui veulent se suicider), Oral Sadism and the Vegetarian Personality (Sadisme oral et personnalité végétarienne)... On peut acheter ces ouvrages (d'occasion) à partir

du site.

Public Domain Review

(publicdomainreview.org)

Ce site n'est pas du tout spécialisé en littérature absurde. Mais il présente et compile des oeuvres (livres, films, images, etc.) qui tombent dans le domaine public - c'est-à-dire «les biens intellectuels qui ne sont plus protégés par les lois» en raison du temps écoulé depuis leur parution. Or, le temps écoulé est souvent un hallucinant fomenteur d'absurde: les sujets d'intérêt au XIXe siècle et le style littéraire de l'époque sont franchement étranges pour un lecteur du XXIe. Grâce à ce site, il est possible de lire la version intégrale d'ouvrages comme Flatland: A Romance of Many Dimensions (un roman sur les aventures d'une figure géométrique, publié en 1884!) ou les étonnantes miscellanées intitulées Curiosities of LiteratureThe Epic Cornucopia of Essays on All Things Literary d'Isaac D'Israeli (première édition en 1791), qui regroupe toutes sortes d'anecdotes littéraires sérieusement étranges. Le site Gallica de la Bibliothèque nationale de France (gallica.bnf.fr) propose quelque chose de semblable, quoique moins fouillé - et moins bizarre en français, dans sa section Livres.