Les écrits de Gilles Vigneault n'avaient jamais été réunis sous une même bannière. Ce sera chose faite avec la publication en quatre volumes de ses oeuvres - les deux premiers, qui sortent ce printemps, regroupent 352 chansons. Des textes qui se lisent comme des poèmes, car derrière le chanteur et le symbole plus grand que nature se cache un artisan patient qui choisit chaque mot avec soin et polit les phrases jusqu'à la perfection.

Gilles Vigneault a presque 85 ans, mais il n'a pas envie de faire partie des meubles ni d'adopter une attitude passéiste. «C'est ben beau considérer ce qu'on a fait, mais il faut que ça serve à aller plus loin», nous dit-il, à peine assis, alors qu'il nous reçoit dans son local de création, à Saint-Placide, près d'Oka.

Même si son constat est qu'il n'a pas fait grand-chose de sa vie - c'est lui qui le dit, pas nous - et qu'il se considère à peine rendu à la moitié du chemin, ce grand rapaillage de ses textes de chansons, de sa poésie et de ses contes est pour lui une «occasion de bilan» à laquelle il ne peut pas échapper.

«Mais j'ai accepté ce projet avec craintes et tremblement. J'ai toujours eu peur que les gens disent: Vigneault, il se prend pour un écrivain.» Il admet pourtant qu'«écrire une chanson, c'est du travail», et observe que sa principale occupation, depuis 50 ans, aura justement été d'écrire.

«Je suis arrivé à la chanson par l'écriture, dit le ciseleur de rimes qui rêvait de suivre le sillon de Villon, Ronsard et Verlaine. Et à force de travail, de passion, de temps, j'ai acquis ce métier. C'est pourquoi j'ai accepté de publier dans la collection «Les Écrits», parce que ç'a toujours été mon souci premier. La majorité de mes textes sont écrits de manière sévère, selon les règles que j'avais apprises au cours classique, et je dirais que les deux tiers se tiennent sans la musique.»

Ce sont d'ailleurs toujours les mots qui sont venus en premier, ajoute-t-il. «Quand les chansons sont écrites selon la prosodie, la musique est dedans et vient toute seule. Il y a une musicalité inscrite dans les mots, le rythme de la phrase, la longueur des vers, leur disposition, dans la composition formelle d'un couplet ou d'un refrain.»

Le mot juste

En regardant le résultat de ces décennies de création, l'homme de Natashquan se souvient autant du plaisir qu'il a eu à essayer de trouver le mot juste que du travail que cela lui a demandé. Il se rappelle le contexte, les personnes avec qui il était, et chaque chanson a son anecdote qu'il s'amuse à raconter.

Mademoiselle Émilie, par exemple, est véritablement née quatre ans après qu'il en a eu l'idée - c'est son accompagnateur Robert Bibeau qui l'a incité à la recommencer, parce qu'il ne savait plus par quel bout la prendre. J'ai planté un chêne, au contraire, a été créée en 15 minutes alors qu'il imitait le père Gédéon (Doris Lussier) pour faire rigoler les collègues après une dure journée de travail. «Eux trouvaient mon imitation mauvaise, mais Gaston [Rochon] prenait des notes... Je n'en ai pas changé une ligne.» Il raconte aussi qu'il croyait que Les gens de mon pays était terminée après un seul couplet. C'est son entourage qui l'a forcé à compléter cette chanson qui allait devenir une des pièces phares de son répertoire.

«Je me souviens aussi de m'être réveillé à 4 heures du matin avec ma machine à écrire imprimée dans le front, parce que je cherchais un mot pour La Manikoutai et que je m'étais endormi. L'idée de cette chanson m'est venue après avoir entendu Miriam Makeba chanter Le fleuve. C'était énorme, on sentait le fleuve charrier toute une vie. J'ai eu envie d'écrire quelque chose là-dessus.»

L'éclat de la poésie

Le pays, la nature, l'amour, le temps qui passe, Gilles Vigneault a écrit nombre de chansons épiques qui ont traversé le temps. Mais c'est le désir de raconter des histoires, celles des gens de son village, qui l'a mené directement à l'écriture. Et au bout du compte, il est surtout fier de cette considérable galerie de personnages, de Jos Montferrand à Zidor le prospecteur en passant par Tante Irène et Joe Hébert.

Des récits intimes, racontés «sans indiscrétion et avec délicatesse», qui ont touché le public et atteint l'universel. C'est là toute la force de la poésie. «La rime, la rythmique, le couplet, le refrain, tout ça appelle le coeur. Et on s'approche plus près des gens comme ça que physiquement. Mes chansons sont cinématographiques. J'aime réussir à donner un paysage en trois mots, puis mettre une personne dedans. Les gens de mon pays, c'est un travelling

Le «chansonnier qui aurait voulu être un poète» espère donc avoir quelquefois réussi à créer un petit éclat de miroir à saisir. «J'essaie de donner un petit coup de soleil, un clair de lune, quelque chose de la nature. Qu'on voit une branche dépasser dans la photo.»

C'est qu'avec les années, l'auteur-compositeur-interprète s'est rendu compte que «c'est important, une chanson, et qu'il ne faut pas la faire n'importe comment. Ça mérite d'être travaillé, que les virgules soient à leur place, que les mots ne soient pas choisis que pour la rime. Une chanson, on ne sait pas pour quoi, on ne sait pas pour qui, mais c'est un gros morceau pour la vie.»

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L'édition spéciale des quatre volumes des Écrits de Gilles Vigneault peut être commandée par souscription, jusqu'au 29 mars 2013, directement aux Éditions du Boréal (www.editionsboreal.qc.ca). Elle sera également en librairie, à l'unité, dès le mois de mai.