Avant le projet Mégaphone de Moment Factory en 2013, une autre expérience de prise de paroles sur la place publique portant sur notre rapports aux mots est organisée depuis ce mardi matin et jusqu'à mercredi à 19h, à la Place des Arts, dans le cadre du Festival international de la littérature.

La compagnie de création théâtrale multidisciplinaire Insanë a invité l'homme de théâtre et romancier Guillaume Corbeil, le philosophe et professeur Normand Baillargeon et le blogueur-journaliste Laurent K. Blais, à écrire pendant 48 heures tout en étant enfermés (sauf la nuit, car la Place des Arts ferme) dans trois cagibis de bois placés près de la salle Wilfrid-Pelletier et sous le regard constant des passants.

Quand La Presse est arrivée sur place, ce mardi à 8h30, les trois prisonniers de l'écriture prenaient leur bol de céréales à l'intérieur de leur pièce cubique qui ne comporte qu'une fenêtre à travers laquelle on peut les voir.

Laurent K. Blais était assis en tailleur sur son matelas posé à terre et lisait en même temps sur sa tablette numérique.

Le stylo déjà en main, Normand Baillargeon était debout et organisait ses idées. Sur sa table, les oeuvres complètes de Jacques Prévert dans la Pléiade.

Guillaume, lui, semblait déjà travailler fort sur son laptop avec, près de lui, le Dictionnaire des cooccurrences de Jacques Beauchesne. Pas facile d'écrire enfermé pour l'auteur de L'art de la fugue qui écrit pour fuir...

Au matin, l'initiateur du projet, Vincent de Repentigny, leur a fourni le thème sur lequel leurs écrits doivent porter: Mon opinion ne vaut rien.

«On voulait évaluer ce qu'était la force de la conversation démocratique et des médias sociaux, comment on peut faire ressortir la valeur d'une opinion, nous a dit Vincent de Repentigny. En affirmant qu'une opinion ne vaut rien, cela les oblige à se positionner par rapport à cette affirmation.»

En même temps que les trois hommes de lettres écrivent, les passants voient leurs écrits apparaître sur un écran placé sur un des murs de chaque cabane éphémère. On peut aussi suivre leur prose en direct à www.insan-e.net/projet-c/.

Normand Baillargeon a été le premier à révéler le fruit de sa pensée par rapport à Mon opinion ne vaut rien. «Un philosophe n'est pas malheureux avec ça», a-t-il écrit, avant de dresser un plan de sa réflexion, plan dont la conclusion porterait sur le «le pari de la conversation démocratique».

La Presse lui a demandé (par courriel) si ça débutait bien. «C'est un peu déstabilisant cette transposition d'un acte assez privé en acte très public», a-t-il répondu avant d'expliquer le choix des livres de Prévert. «Tu vois: un peu de ce fétichisme dans l'écriture. Prévert est mon écrivain préféré. Sa présence (sic!) me, c'est bête à dire, rassure un peu.»

Es-tu inspiré? «Le sujet tombait bien pour moi, dit Normand Baillargeon. L'opinion est un thème de prédilection pour un philosophe; dire «elle ne vaut rien» permet d'en arriver à la nécessaire conversation démocratique où des opinions, précisément, doivent être échangées et débattues. Avec l'ambition de parvenir au vrai et de viser le bien commun. Ces idéaux me semblent aujourd'hui maltraités; identification de ces poisons; mais il y a des antidotes: l'éducation, la culture, la pratique du dialogue et celle de l'imagination.»

Guillaume Corbeil, lui, est parti de la définition du Littré. Opinion: le sentiment qu'on se forme des choses. Puis, il a élaboré une ligne d'attaque: «Deux personnages racontent une ancienne émission de télévision où un homme faisait part de ses opinions sur tout; lui-même devient l'objet de leurs opinions?» En après-midi, il a commencé à écrire une pièce, scène après scène, avec deux personnages, l'Animateur et le Régisseur.

Enfin, Laurent a commencé à écrire, en s'inspirant du premier numéro de Cult#MTL (qui a succédé au Mirror), des «réflexions sur la déroute de la presse culturelle comme métaphore de la place, de la valeur et de l'opinion». Une citation parmi son débit amazonien: «Le sort de la presse culturelle gratuite métaphorise bien le cheminement de l'opinion».

En attendant la fin de leur marathon d'écriture, ces trois prisonniers de l'opinion sont autorisés à sortir de leur cage seulement quand ils envoient un message du style «Pouvez-vous venir m'ouvrir? Besoin d'un pipi!» Une envie aussi pressante pour eux que d'épancher le fond de leur pensée sur la valeur de l'opinion...