Un premier tirage de 500 000 exemplaires épuisé, des «offres spéciales» avec fouet inclus et des évêques embarrassés: l'Allemagne succombe à la trilogie sadomasochiste Fifty Shades.

Sorti le 9 juillet sous le titre Geheimes Verlangen, traduisible par Désirs inavoués, le premier tome des aventures de l'étudiante Anastasia se livrant aux fantasmes du milliardaire Christian Grey s'est arraché.

«Le premier tirage est épuisé, nous imprimons actuellement plus d'un million d'exemplaires», a déclaré vendredi à l'AFP une porte-parole de l'éditeur Goldmann (groupe Random House) basé à Munich, qui publie en Allemagne ce phénomène d'édition anglo-saxon.

«Après les succès au Royaume-Uni et aux États-Unis (20 millions d'exemplaires pour les trois tomes publiés), nous avions bon espoir» pour les ventes en Allemagne, poursuit-elle, affirmant: «c'est d'abord une histoire d'amour, avec une composante érotique, nous avions donc un grand lectorat potentiel. Les femmes notamment sont toujours friandes d'histoires d'amour».

Et les lectrices ne se sont pas laissées refroidir par les critiques parues dans les journaux allemands, atterrés autant que désorientés face au phénomène.

«Ce livre ne satisfera pas plus l'amateur d'érotisme échauffé par ses hormones que l'amoureux du grand style littéraire», estime le magazine Stern qui y voit un «best-seller programmé à la virgule près».

Pour l'hebdomadaire Die Zeit, qui parle d'un «déchet», «la seule expérience sadomasochiste consiste en la lecture de 600 pages mal écrites et ennuyeuses à mourir».

Le magazine culturel Cicero qualifie de «presque obscène» l'intérêt suscité par le roman et ironise: «Vous n'avez pas encore de cravache? Hé bien, il est grand temps d'en acheter une (...) ou à défaut, une tapette à mouches».

Le quotidien Süddeutsche Zeitung se désole lui de «la publicité déguisée» qui abonde dans le roman, pour des voitures de luxe, des marques de vêtement ou des gadgets électroniques.

Double jeu moral

L'histoire aux accents gothiques racontée par E.L. James n'a pas ému outre mesure les féministes allemandes, très écoutées dans leur pays et très attentives à débusquer les images dégradantes de la femme.

La plus célèbre d'entre elles, Alice Schwarzer, trouve ainsi l'intrigue «relativement émancipée».

Le livre est même jugé suffisamment inoffensif pour être distribué via internet par la maison d'édition catholique Weltbild, propriété des évêques allemands.

Weltbild accompagne toutefois la présentation de Geheimes Verlangen sur son site du texte suivant: «la soumission de la femme, présentée dans cet ouvrage, va à l'encontre de nos conceptions. Nous estimons que ce livre est très problématique».

Ces quelques phrases ont déchaîné les critiques en Allemagne sur un «double jeu moral» reproché au groupe d'édition catholique.

Loin de ces considérations, l'industrie allemande de l'érotisme accueille avec grand pragmatisme le phénomène.

La chaîne de sex-shops Orion, qui distribue le livre, propose ainsi un paquet-cadeau comprenant l'ouvrage et «quatre accessoires raffinés»: menottes, fouet, boules de geisha et bandeau pour les yeux.

Le premier tome de la trilogie sera publié en France le 17 octobre par les éditions JC Lattès sous le titre Cinquante nuances de Grey

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