L'auteur du best-seller mondial Le liseur, Bernhard Schlink, est à Montréal à l'occasion du Festival Metropolis bleu dans le cadre d'une tournée canadienne organisée par le Goethe Institut. Une rare visite de l'écrivain allemand qui, même lorsqu'il écrit des romans policiers, aborde des sujets graves comme la culpabilité, la responsabilité et le poids de l'Histoire. Entretien avec un homme qui n'écrit pas pour rien.

Lorsque Bernhard Schlink parle, il ne le fait jamais à la légère. Peu enclin à donner des entrevues, l'ex-juge - il a exercé ce métier pendant 18 ans - et professeur de droit constitutionnel se prête tout de même à l'exercice avec la politesse d'un gentleman, écoutant chaque question avec attention, marquant parfois une longue pause avant de répondre, s'assurant que chaque nuance de sa pensée est bien comprise.

Le pouvoir des mots est justement le thème de Metropolis bleu cette année. «C'est vrai que les mots ont un pouvoir, mais ça dépend des mots qu'on emploie et de quelle manière», croit l'écrivain de 67 ans. Lui, en tout cas, les utilise depuis toujours à bon escient, mais assure qu'il ne commence jamais un livre avec en tête une question morale à régler. C'est l'histoire, toujours, qui le dirige. «Les thèmes trouvent leur chemin N'empêche que ses deux plus récents romans traduits en français, Le week-end et Le retour, mettent encore en scène des personnages aux prises avec les fantômes du passé. Dans Le week-end, des amis d'université se réunissent à l'occasion de la sortie de prison d'un des leurs, ancien terroriste d'extrême gauche qui a été enfermé pendant 20 ans. Dans Le retour, un homme tente de retrouver l'auteur d'un roman et se retrouve sur la trace de son propre père. Dans les deux cas, il est question de trahison, de mémoire et d'oubli. «Il y a des thèmes qui reviennent, admet-il, comme l'ombre du passé sur le présent et comment s'en défaire sans trahir.» Le passé, c'est vrai, est au coeur de son oeuvre, et il estime qu'il ne faut pas s'en couper, aussi douloureux soit-il. «Connaître le passé collectif et individuel aide à comprendre ce que nous sommes, notre culture, notre histoire.»

Bernhard Schlink est né tout juste à la fin de la Seconde Guerre mondiale et fait partie de cette génération qui a vécu avec le poids du nazisme. Un poids lourd à porter, qu'il traîne toujours, mais dont il a pu se libérer, en partie, en écrivant. «Quand on écoute de la musique triste, ça donne une structure à notre tristesse. Écrire sur ce qui me brûle, me rend malheureux ou me fait souffrir, oui ça m'aide, parce que ça donne une forme à cela.»

Il conçoit que les jeunes de la quatrième génération puissent être libérés de cette chaîne de culpabilité et ne le leur reproche pas. «Ils n'ont pas le devoir moral de se souvenir. Par contre, les gens qui se souviennent doivent se rappeler de tout, du portrait global, et non choisir seulement ce qui les arrange.» Mais peut-on vivre en faisant abstraction du passé? «Il y a des gens qui vivent dans le présent seulement et qui le font très bien. Sont-ils chanceux? Ils gagnent sur certains aspects, ils perdent sur d'autres. Ce qui est certain, c'est qu'il y a plein de dimensions de la vie auxquelles ils ne toucheront jamais.»

Le côté sombre

En 1995, l'adolescent du Liseur vit une histoire d'amour avec une femme plus âgée que lui et découvre, plus vieux, qu'elle est une ancienne nazie. Dans Amours en fuite, recueil de nouvelles paru cinq ans plus tard, les personnages se trompent, se trahissent et cachent à ceux dont ils sont les plus proches des pans entiers de leur vie et de leur personnalité. «On ne se connaît jamais vraiment soi-même, croit Bernhard Schlink. Comment peut-on prétendre connaître les autres?» Dans sa vision du monde, en tout cas, nous avons tous un côté sombre. «Nous ne savons pas quelle serait notre réaction dans une situation de crise, devant la peur, la douleur, la violence.» Difficile, donc, de juger le passé, pourrait-on conclure. «Ah non, il faut juger le passé, les gens, nous-mêmes! Mais toujours avec la main qui tremble un peu au moment d'écrire le verdict...»

L'ancien juge avoue ne pas savoir si ce travail a nourri l'écrivain qu'il est. «Peut-être que d'avoir un pied dans un autre domaine m'a aidé. Je regarde les auteurs qui ne font que ça, écrire, et je me dis que je suis content d'avoir été sur le terrain, d'avoir vu des gens avec de vrais conflits et de vrais problèmes à régler.»

Pratiquement retraité de son emploi de professeur, il a maintenant plus de temps pour l'écriture et il en est bien heureux. Son plus récent livre, un recueil de nouvelles, est paru en Allemagne l'an dernier, mais n'est pas encore traduit, et il travaille actuellement à l'adaptation cinématographique du Retour. De l'expérience du Liseur, réalisé en 2008 par Stephen Daldry, il ne dit que du bien. «Même si je n'ai pas participé au scénario, nous avons beaucoup discuté ensemble, à chaque étape. Quand j'ai écrit ce livre, jamais je ne m'étais pas imaginé qu'il serait un jour un film. Lorsque j'ai vu qu'il avait du succès, je l'ai espéré, parce que j'aime beaucoup le cinéma.» Pour lui, il y aura toujours de la place, tant en littérature qu'à l'écran, pour des oeuvres sur des sujets plus difficiles. «Il ne faut pas sous-estimer le public. Les gens ne veulent pas seulement être divertis, ils veulent aussi réfléchir. Tout le monde se pose des questions morales, sur ce qui est bien et ce qui est mal, sur le pourquoi, sur le comment...» Il en est la preuve, et ceux qui le lisent aussi.

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Bernhard Schlink donnera ce soir à 20 h une entrevue en anglais à Noah Richler dans le cadre de Metropolis bleu.