L'idée est alléchante: adapter au XXIe siècle un genre romanesque célébrant l'art du récit, sur le modèle du Décaméron de Boccace ou de L'Heptaméron de Marguerite de Navarre. Christophe Bigot relève le défi et offre un page turner de très grande qualité.

Dix jeunes gens se retrouvent isolés malgré eux dans une demeure bourgeoise en Bretagne. Chez Boccace, le prétexte de l'isolement était la peste qui ravageait Florence. Ici, actualité française oblige, c'est... une grève nationale.

Pour échapper à l'ennui, le littéraire de la bande propose que chacun raconte tour à tour une histoire par soir, afin de susciter des débats politiques ou moraux. Répétitif? Que nenni. Car les jeunes gens réunis ici sont des stéréotypes dignes d'un casting de téléréalité: le dandy lettré, la bourge devenue gaucho, le tombeur cool aux dreadlocks, la catho coincée (Bathilde de Ganze!), la bombe sexuelle et sa meilleure amie fade, l'Arabe homosexuel et la grosse moche, Chacun s'illustre alors dans un pastiche d'un genre littéraire plus ou moins dévalué, allant du roman gothique anglais au campus novel.

Entre ces récits, les inimitiés et les jalousies enflent au gré d'intrigues, jeu du pouvoir et de l'amour. Étudiants, les personnages possèdent un vernis de culture universitaire qui cache mal les lieux communs et idées reçues de chacun, engagements politiques vacillants et morale à la petite semaine. Bigot se gausse de la bêtise de ses «rats de laboratoire» qu'il fait s'agiter comme des marionnettes, jusqu'à la caricature. Vacheries, médisance, perfidie, potinage, malveillance: un régal! Le style est précieux juste ce qu'il faut pour créer un climat délicieusement désuet. Dans la variété de styles et de tons des récits, Bigot se balade, aussi à l'aise dans la langue soutenue que dans le parler jeune.

L'HYSTÉRICON

CHRISTOPHE BIGOT

GALLIMARD 467 PAGES, 39,50$

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