Le crime est une façon bien commode de voir du pays. Pour peu que l'auteur s'en donne la peine, il nous en apprendra plus sur la société qu'il décrit que n'importe quel guide de voyage. Surtout s'il en est lui-même issu.

Le Japon contemporain que Natsuo Kirino donne à voir dans Le vrai monde est autrement plus angoissant que l'unique meurtre de son récit. Lorsqu'une société fait passer la réussite scolaire de ses enfants avant tous leurs autres besoins, et ce, depuis leur plus jeune âge, faut-il s'étonner qu'ils réagissent de façon amorale? C'est ainsi que Toshiko, élève modèle, décide de couvrir la fuite de son voisin matricide. Et que ses trois amies, Terauchi, Yuzan et Kirazin, développeront un contact privilégié avec lui durant sa cavale à vélo. Pourtant, dans des circonstances normales, aucune d'entre elles n'aurait adressé la parole à cet ado au physique ingrat qu'elles surnomment «le lombric». Mais sa fuite en avant les fascine. Entre cet asocial détraqué et les adultes étouffants, harcelants ou indifférents, elles ont choisi leur camp. Tout cela, évidemment, finira mal. Très mal. Assez pour vous enlever toute illusion sur l'innocence des collégiennes japonaises.

Le Sherlock japonais

L'astrologue Mitarai a beau se moquer du détective imaginé par Sir Arthur Conan Doyle, il ne procède pas autrement lorsqu'on lui demande de résoudre une énigme vieille de 50 ans. Est-il encore possible, de nos jours, d'élucider un septuple meurtre par la seule force du mental? Pour le limier atypique de Soji Shimada, le défi est irrésistible. Malgré son tempérament dépressif et le peu d'intérêt qu'il porte à ses semblables, Mitarai se jette corps et âme dans cette enquête qui nous replonge dans le Japon d'avant la Deuxième Guerre mondiale.

Paru en version originale en 1987, Tokyo Zodiac Murders n'a pas pris une ride. Il faut dire qu'il s'agit d'une intrigue classique, un meurtre en chambre close, dont l'essentiel se déroule en 1936. Si vous êtes du genre à dessiner la scène de crime d'une main en tenant votre bouquin de l'autre, vous serez servi. Un vieux peintre est retrouvé assassiné dans son atelier. À ses côtés, un manuscrit dans lequel il expose un projet fou: prélever et assembler des parties du corps de six jeunes femmes vierges (quatre de ses filles et deux de ses nièces) pour fabriquer, selon des principes astrologiques, une créature parfaite nommée Azoth. Non seulement on ignore qui est le coupable et comment il a procédé, mais dans l'année suivante, les cadavres mutilés des six jeunes femmes seront découverts en divers endroits du Japon, dans l'état et l'emplacement exacts prévus par le peintre. Démêler cet écheveau un demi-siècle après les faits ne se fera pas en criant ciseaux, mais le dénouement sera à la hauteur des attentes.

Fantômes chinois

Diane Wei Liang vit à Londres et écrit en anglais, mais cette native de Pékin n'a visiblement pas perdu contact avec sa terre d'origine. Si son expérience des camps de rééducation et de la place Tian'anmen ont nourri son Papillon de papier, sa vision de la Chine actuelle est tout aussi convaincante.

La détective privée Wang Mei doit retrouver une chanteuse pop. L'enquête l'entraînera dans l'envers du décor - celui du vedettariat comme celui de Pékin, aussi factices et trompeurs l'un que l'autre. Les descriptions des vieux quartiers, du dénuement des campagnes et de la perversion bureaucratique vaudraient à elles seules le détour, mais ce Papillon de papier a bien plus à offrir qu'un guide touristique. C'est un réquisitoire contre l'amnésie volontaire des peuples servi, comme il se doit, par une histoire solidement ficelée.

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Le vrai monde. Natsuo Kirino. Seuil Thrillers, 213 pages, 34,95 $.

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Tokyo Zodiac Murders. Soji Shimada. Rivage/Thrillers, 371 pages, 34,95 $.

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Le papillon de papier. Diane Wei Liang. NiL Éditions, 266 pages, 29,95 $.