Les plus grands romans de guerre ne parlent pas de guerre. En deçà des événements historiques, ces livres disent autre chose, donnent une chair aux événements que les historiens se chargent de raconter.

Des hommes fait incontestablement partie de ces petits monuments qui soulèvent les histoires indicibles. De la guerre d'Algérie, Laurent Mauvignier tire un brillant livre sur le poids du non-dit.

Les 100 premières pages ne disent rien de l'Algérie. La narration résiste à révéler ce que les personnages répugnent à s'avouer eux-mêmes. Bernard, surnommé Feu-de-bois, à moitié clochard, offre un bijou à sa soeur lors d'une fête qui tourne mal.

D'un propos raciste, au mot «arabe», puis «Algérien» et «Algérie», une brèche s'ouvre dans la mémoire qui bascule vers un passé enfoui sous une chape de silence depuis 40 ans.

L'auteur donne la parole à ces hommes jetés dans une guerre diffuse, faite d'attente et d'ennui. Des hommes brisés par l'horreur qu'on devine dans les ellipses, le silence que Mauvignier perce par trouées progressives, des phrases interrompues, une langue qui hésite, trébuche, libère les images au compte-gouttes, approche à petits pas vers le passé refoulé.

La narration «retarde le moment où il faudra montrer et dire», en parfaite adéquation avec l'attente des jeunes appelés français qui veulent «trouver enfin un ennemi, pour en finir». Elle finira cette guerre et, comme un coup de poing, son souvenir surgira. Je vous laisse deviner l'effroi au réveil des fantômes.

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Des hommes. Laurent Mauvignier. Éditions de Minuit, 281 pages.