Dany Laferrière a quitté Miami cette semaine avec sa famille- moins l'aînée de ses trois filles, qui étudie déjà à l'université aux États-Unis- pour s'installer de nouveau à Montréal. «Pourquoi Montréal? Parce que c'est Montréal et parce que c'est moi, dit-il au téléphone. J'aime beaucoup cette ville, mais c'est surtout ma femme qui voulait revenir; elle avait quitté Montréal à regret.»

Si Dany Laferrière a abandonné la métropole il y a une douzaine d'années, c'était pour fuir le filet médiatique dans lequel il était pris depuis la publication de Comment faire l'amour avec un Nègre sans se fatiguer (1985) et les remous qu'avait causés le film inspiré dudit livre. Cela l'empêchait d'écrire.N'a-t-il donc plus peur de l'hiver? «C'est l'hiver, cette fois-ci, qui aura peur de moi!»

Au moment où nous l'avons joint hier, l'écrivain venait d'apprendre qu'il s'en irait très bientôt en France faire une tournée monstre de 25 villes à l'initiative de son éditeur là-bas, Le Serpent à plumes, passer une heure avec Bernard Pivot qui a une émission mensuelle, rencontrer les journalistes de Libération... bref, une sortie médiatique énorme pour Cette grenade dans la main du jeune Nègre est-elle une arme ou un fruit? d'abord paru en 1993 et réédité cette année dans une version tellement augmentée que le volume est deux fois plus gros.

«Dans Cette grenade... (première version), je promettais un reportage sur l'Amérique - en fait, le héros qui est le même que celui de Comment faire l'amour avec un Nègre sans se fatiguer devait faire un reportage - mais je m'intéressais surtout à l'Amérique noire. Maintenant, comme je me prends pour un individu global, je m'intéresse à tout le monde... j'ajoute donc ce reportage sur les États-Unis à la version originale.»

Est-ce que cela va jusqu'au 11 septembre 2001?

«Non, mais c'est tout ce qui précède...»

Pour lui, l'effondrement des deux tours du World Trade Center est un événement tragique, mais ce n'est pas un événement si important du point de vue historique.

«Le sort du monde se joue au Moyen-Orient chaque jour, dit-il avec ferveur. C'est quotidien là-bas. Nous-mêmes, ici, on est épuisé d'assister à ça, chaque jour. Les nouvelles s'accumulent. Et ça pourrit. Tout le monde sait que c'est grave. Et il n'y a pas une solution en vue... On disait que c'était insoutenable, ces avions avec des gens dedans qu'on lance comme des bombes sur d'autres gens. Mais là-bas, chaque jour, des gens se font sauter comme des bombes...»

Dany Laferrière a par ailleurs découvert deux phénomènes dont il n'avait aucune idée avant de vivre aux États-Unis. «Je suis fasciné par toute la vie quotidienne aux États-Unis, par tous ces Américains qui ne sont pas au courant de ce qui se passe en leur nom... ces petites villes qui s'intéressent à leurs problèmes locaux et qui n'aiment pas le fédéral... Je ne savais pas qu'il y avait cette deuxième Amérique paysanne. Je ne savais non plus cette terrible colère qui couve, ces jeunes qui tuent des jeunes...

On m'avait dit que la violence était une affaire de ghetto, mais il n'y a pas, dans les ghettos, cette manière d'entrer et de tirer sur des jeunes...»

Et l'affaire Clinton, selon lui, tout le monde l'a eu faux. «Le peuple américain est resté fidèle à Clinton, malgré la grande presse, malgré les gens les plus influents et malgré les démocrates eux-mêmes. On a beaucoup parlé de l'Amérique puritaine en Europe, au Canada... mais voilà un pays où la majorité silencieuse a fait face à la plus puissante machine du monde. On ne connaît pas bien la vie quotidienne des Américains.» C'est de cela qu'il parle dans la nouvelle version de Cette grenade... qui paraîtra chez VLB en novembre.

Mais n'a-t-il pas dit qu'il avait fini d'écrire? Il n'écrira rien d'autre que ses 10 livres, précise-t-il, sauf étoffer ce qui est déjà écrit.

D'autre part, le tournage du Goût des jeunes filles douces, film adapté du roman du même titre de Laferrière, qui devait se faire cet été, pourrait commencer bientôt, pendant que l'auteur peaufine un scénario inédit qui devrait bientôt trouver preneur.