Le grand intellectuel français Claude Lévi-Strauss, qui a influencé des générations de chercheurs en jetant les bases de l'anthropologie moderne, est mort dans la nuit de samedi à dimanche à l'âge de 100 ans, a-t-on appris mardi auprès de l'Académie française.

Ses obsèques ont déjà eu lieu à Lignerolles, dans le département de la Côte d'Or, a indiqué à l'AFP le professeur Philippe Descola, qui a succédé à Claude Levi-Strauss à la tête du laboratoire d'anthropologie sociale au Collège de France, prestigieux établissement d'enseignement et de recherche à Paris. L'autobiographie intellectuelle du chercheur, Tristes Tropiques, paru en 1955, est considérée comme l'un des grands livres du XXe siècle.

Dans ce livre constamment réédité et largement traduit - qu'il considérait comme écrit «trop vite et sans réfléchir» -, Claude Lévi-Strauss avait raconté son voyage au Brésil central avant la guerre, mêlant récit de ses aventures et réflexions philosophiques.

Son analyse des rapports entre l'ancien et le nouveau monde, la place de l'homme dans la nature, le sens des civilisations et du progrès avaient assuré un succès immédiat au chercheur.

Mardi soir, le président Nicolas Sarkozy a rendu hommage «à l'humaniste infatigable, à l'universitaire curieux, toujours en quête de nouveaux savoirs, à l'homme libre de tout sectarisme et de tout endoctrinement qu'incarnait M. Claude Lévi-Strauss».

Dès l'annonce de son décès, l'Académie française a annoncé qu'elle rendrait jeudi un hommage privé à Claude Lévi-Strauss, qui fut le premier ethnologue à être admis à l'Académie en 1973.

Philippe Descola considère qu'il est «l'anthropologue dont l'oeuvre aura exercé la plus grande influence au XXe siècle», rappelant la forte dimension «morale» de l'oeuvre de Lévi-Strauss.

«Dénonçant sans relâche l'appauvrissement conjoint de la diversité des cultures et des espèces naturelles, il a toujours vu dans l'anthropologie un instrument critique des préjugés, notamment raciaux, en même temps qu'un moyen de mettre en oeuvre un humanisme «généralisé»».

Dans le monde politique, les réactions affluaient mardi soir, chacun regrettant un «immense intellectuel» dont la réflexion a changé le regard du monde sur lui-même.

Le chef de la diplomatie française, Bernard Kouchner, a déploré la perte d'un «visionnaire» dont la réflexion scientifique «a toujours été marquée par une haute exigence morale, avec cette conviction si fortement ancrée en lui de l'égale dignité des cultures et des hommes».

De son côté, la première secrétaire du parti socialiste Martine Aubry a rendu hommage à l'«immense intellectuel» dont «l'oeuvre appartient au patrimoine universel», «un homme engagé» et un «grand humaniste».

Son 100e anniversaire, le 28 novembre 2008, avait donné lieu à une pluie d'hommages, auxquels il n'avait pas souhaité participer. Nicolas Sarkozy lui avait rendu visite à son domicile pour «lui rendre un hommage chaleureux et lui dire la reconnaissance de toute la Nation». L'anthropologue n'avait pas fait d'apparition publique depuis.

Les livres de Claude-Lévi-Strauss

- La vie familiale et sociale des indiens Nambikwara (1948)

- Les structures élémentaires de la parenté (1949)

- Race et histoire (1952)

- Tristes tropiques (1955)

- Anthropologie structurale (1958)

- La pensée sauvage (1962)

- Mythologiques 1 - Le Cru et le cuit (1964)

- Mythologiques 2 - Du miel aux cendres (1967)

- Mythologiques 3 - L'Origine des manières de table (1968)

- Mythologiques 4 - L'Homme nu (1971)

- Anthropologie structurale II (1973)

- La voie des masques (1975)

- Le regard éloigné (1983)

- Paroles données (1984)

- La potière jalouse (1985)

- De près et de loin, entretiens avec Didier Eribon (1988)

- Histoire de lynx (1991)

- Regarder, écouter, lire (1993)

- Saudades do Brasil (1994)

Les réactions à la mort de Claude Lévi-Strauss

> Le président Nicolas Sarkozy

«La découverte du Brésil et les missions ethnographiques qu'il y mena le conduisirent à sa thèse de doctorat et feront de lui l'un des plus grands ethnologues de tous les temps». «Récemment, il se déclarait très inquiet de la disparition de nombreuses espèces vivantes, végétales et animales, et s'interrogeait sur l'évolution du monde et l'impact des activités de l'homme sur la planète.» «Le président de la République rend hommage à l'humaniste infatigable, à l'universitaire curieux, toujours en quête de nouveaux savoirs, à l'homme libre de tout sectarisme et de tout endoctrinement qu'incarnait M. Claude Lévi-Strauss». «Il salue la mémoire d'un très grand savant, toujours ouvert au monde, qui a créé l'anthropologie moderne et a porté au plus haut la réputation des sciences humaines et sociales françaises».

> L'ancien président Jacques Chirac

«C'est la France, c'est le monde qui perd aujourd'hui un anthropologue d'exception, un intellectuel qui aura consacré sa vie à comprendre et à expliquer les cultures, leurs richesses, leur diversité, leurs grandeurs et leurs fragilités. Un homme qui se sera mis au service de la dignité humaine et de la défense des libertés». «Son oeuvre a fait avancer la connaissance de notre monde. Elle restera pour moi comme une source d'inspiration à l'égalité et au dialogue de toutes les cultures».

> Le premier ministre François Fillon

«Paru en 1955, Tristes tropiques peut être considéré comme l'une des oeuvres majeures du XXe siècle. Avec sa disparition, l'humanité perd l'une de ses voix les plus fécondes et les plus fraternelles. Grâce à ses travaux, l'intimité profonde de nos civilisations perdues et contemporaines jaillissait comme une source inépuisable de méditation et de tolérance. A l'heure où la mondialisation cherche ses repères et sonde ses ressorts les plus fondamentaux, l'oeuvre de Levi-Strauss demeure d'une brûlante actualité».

> Le ministre des Affaires étrangères Bernard Kouchner

«Avec Claude Lévi-Strauss, la France perd non seulement un grand anthropologue et un visionnaire animé d'une conscience universelle, mais aussi un héritier des Lumières dont la réflexion scientifique a toujours été marquée par une haute exigence morale avec cette conviction si fortement ancrée en lui de l'égale dignité des cultures et des hommes». «En faisant partager et comprendre la singularité des peuples premiers, Claude Lévi-Strauss les a placés au coeur d'une humanité vivante et a rompu avec une vision ethnocentrée de l'histoire de l'humanité».

> Le ministre de la Culture Frédéric Mitterand

«Claude Lévi-Strauss a fait mieux encore que nous léguer les trésors de son érudition, il nous a enseigné une nouvelle grammaire du regard et nous a appris à «regarder, écouter, voir» autrement. Ce sage plus que centenaire restera une référence et un modèle pour chacun d'entre nous».