Bernard-Marie Koltès, mort du sida à 41 ans en 1989, est le plus important dramaturge français de la fin du XXe siècle. Son oeuvre (cinq pièces comme Tchekhov; quatre créées par Patrice Chéreau) a pris le relais des sommets poétiques que furent celles de Claudel, Beckett et Genet, au-dessus de tout le reste.

Au Québec, Denis Marleau a signé un remarquable Roberto Zucco, Brigitte Haentjens passa tout juste avec Combat de nègre et de chiens, Alice Ronfard rata une pièce assez impossible à saisir, Quai ouest. Koltès était un ange, sa beauté traversa le monde du théâtre comme une comète morte.

 

Son frère François, qui veille sur l'oeuvre comme Jérôme Lindon le fit sur celle de Beckett, véritables chiens de garde qui, tous deux, allèrent jusqu'à tenir tête à la Comédie Française, publie chez Minuit (l'éditeur exclusif de Koltès) les centaines de lettres que le garçon de Metz, étudiant à Strasbourg, animateur du Théâtre du Quai, frère de Rimbaud et voyageur du monde (New York, l'Amérique du Sud et l'Afrique) écrivit à ses amis (surtout ses copines) et à sa famille. Des lettres d'un voyant, battant de la marge qui face au racisme se voulait Noir, opposé à toute compromission, aimant la vie tant qu'il put la vivre debout.

Les amateurs de son théâtre, qui est d'abord une langue (comme Claudel et Gauvreau, un grand dramaturge crée sa langue, qui fait évoluer la littérature), puis une manière et donc une poésie, trouveront dans ces missives écrites sans souci de publication une impressionnante dévotion à l'art dramatique.

Koltès n'aimait pas «le monde du théâtre», mais il vénérait «l'art du théâtre». C'est en voyant Maria Casarès dans Médée, en 1968, qu'il découvrit, garçon élevé dans la religion catholique, sa vocation, se sentit appelé. À sa mère, il écrit en 1968: «Me voici à la veille de me mettre au service du Théâtre.» C'est lui qui met la majuscule au mot théâtre...

À Cap-Rouge

Pour les admirateurs québécois de Koltès, il sera étonnant de constater que, pur inconnu, le gamin de Metz était venu passer deux étés au Québec, engagé les étés 68 et 69 comme moniteur au camp de vacances du séminaire Saint-François de Cap-Rouge. Le choc est dur: «Les Canadiens français n'ont en fait de français que le nom et - à peine - la langue. Leur mentalité est plutôt américaine», écrit-il à ses parents.

Koltès, qui est allé «à l'Expo», va parcourir en stop la Belle Province, il va en aimer le Nord, c'est-à-dire pour lui les Laurentides, le Saguenay et Chicoutimi (dont le nom surgit dans une réplique du Combat de nègres...), couchant chez l'habitant ou au presbytère, se lassant, car au second séjour il écrira que ce qui l'intéresse au Québec c'est la proximité avec New York, «New York de nuit», précise-t-il, cette ville «inécrivable», écrit-il.

_________________________________________________________

* * * * *

Lettres. Bernard-Marie Koltès. Minuit, 523 pages, 37,95 $