Je ne prends pas l'avion cet été. Je pourrai donc me permettre une lecture de poids, plonger dans des bouquins qui ne peuvent prendre place dans les valises: l'intégrale de The Sandman de Neil Gaiman.

Au total, 75 bandes dessinées publiées entre 1989 et 1996 et regroupées, dans la collection «Absolute», en quatre volumes totalisant plus de 1600 pages, reliés en gros cuir et pesant chacun 3,5 kilos.  

On y suit le destin de Dreams (ou Morpheus), l'incarnation des rêves, et son impact sur les humains - dont certains de ceux qui seront privés de lui pendant les 70 ans où il sera prisonnier.

 

Une vie sans rêves, c'est un cauchemar. Apparaissent aussi ceux qu'il aura inspirés - Shakespeare, par exemple. Norman Mailer a déjà décrit cette oeuvre comme «un comic book pour intellectuels». Je ne le suis certainement pas assez (intellectuelle) pour le contredire! – Sonia Sarfati

 

Retrouver Simenon

 

Georges Simenon a vécu au Canada (notamment au Québec), puis aux États-Unis de 1945 à 1955. Il a souvent évoqué cet épisode nord-américain comme étant l'étape la plus importante de sa vie et sa période littérairement la plus riche.

 

Omnibus a réédité ces Romans américains, présentés par Michel Carly, avec une préface de Patrick Raynal. Le premier tome regroupe huit de ces romans dont Destinées, écrit en 1929 sous le pseudonyme de Georges Sims, qui évoque une Amérique rêvée. Parmi les sept autres, il y a trois enquêtes de Maigret, dont Maigret à New York, Maigret chez le coroner, et Maigret, Lognon et les gangsters

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Submergé par les nouveautés, le chroniqueur de polars n'a pas toujours le loisir de lire ou de relire les oeuvres phares du passé. Je profiterai donc du répit de l'été pour partir sur les routes de l'Amérique d'après-guerre en compagnie des personnages de Simenon. – Norbert Spehner, collaboration spéciale

 

Découvrir Gracq

 

Gavée de littérature contemporaine l'année durant, je saute toujours sur un classique quand arrive l'été, histoire de me souvenir que la littérature n'a pas d'âge.

 

Cette année, j'inaugure l'été avec un auteur que je n'ai jamais fréquenté: Julien Gracq et son Rivage des Syrtes (José Corti), publié en 1951 (prix Goncourt, refusé par l'auteur).

 

Pourquoi Julien Gracq? Parce qu'on dit qu'il fut inspiré par le romantisme noir allemand et les surréalistes, auxquels je me suis moi-même abreuvée; parce que ce roman évoque la fin d'une civilisation, un thème qui m'interpelle; parce que Gracq fut influencé par Pouchkine et Goethe, qui sont, à mes yeux, des grands maîtres de la littérature. Pour toutes ces raisons, mais aussi parce que le livre provient de la bibliothèque d'un proche décédé récemment.

 

Lire le livre qu'il aimait, c'est un peu, il me semble, comme partager un moment avec lui. – Elsa Pépin, collaboration spéciale

 

Photo: archives AFP

L'auteur Julien Gracq

Un rêve d'adolescence

 

Après avoir été séduite comme toute ado des années 90 par le film Dead Poets Society de Peter Weir, j'ai voulu lire Whitman et son patriotique Oh Captain! My Captain!, mais aussi Cummings, Eliot, Dickinson et ce bon vieux Frost.

 

Or, voilà, je n'ai jamais lu Frost pour la minable raison qu'il n'existe aucune traduction française officielle de ce pilier de la poésie américaine du XXe siècle.

 

Une hérésie.

 

Est-ce parce que la francophonie ne s'est jamais sentie interpellée par ce fermier du Vermont, lauréat quatre fois du prix Pulitzer de poésie, qui a osé condamner la civilisation au moment où tous s'enthousiasmaient pour le modernisme?

 

Je n'ai donc jamais lu Bob Frost pour des raisons linguistiques et j'en ressens une profonde gêne.

 

Me voici donc, des années plus tard, devant un thé glacé et un exemplaire unilingue de Robert Frost's Poems (St. Martins Press) avec l'intention d'en découvrir cet été les beautés champêtres.

 

On s'en reparle? – Jade Bérubé, collaboration spéciale

 

 

 

Puisque le prochain chef-d'oeuvre se fait attendre...

 

Relire c'est aussi lire, avec un risque à la clé. Si la lecture est selon Larbaud un vice impuni, la relecture est une rechute, qui déçoit parfois et parfois non. On y arrive par hasard plus que par nécessité, en l'occurrence par la découverte, cherchant tout autre chose, d'un roman qui rappelle une expérience esthétique exceptionnelle.

 

Dans un autre siècle, il y a quinze ans. Daniel Poliquin venait d'assommer Calvin Winter d'une lourde culpabilité, legs d'un père autrement plus coupable, mais insensible à ces piteux états d'âme. Coupable assez pour taquiner la folie, notre Calvin, assez futé pour s'esquiver avant de sombrer dedans. On est en pleine tragédie. Il suffit pourtant de quelques étincelles pour basculer dans la caricature.

 

Comique donc, et grinçant, cet Écureuil noir (Boréal) de M. Daniel Poliquin où on retrouve un protagoniste qui travaille sur appel, Maud Gallant, apparue puis dissoute dans les Visions de Jude (Québec Amérique) cinq ans plus tôt et qui n'a pas pris une ride.

 

À relire cet été, Écureuil surtout et Visions, en espérant que ces icebergs ne fondent pas sous la canicule. – Réginald Martel

Un été lettré

 

Plus de 1320 pages de lettres, voilà la lecture principale de mes vacances et le risque de m'emmouscailler est mince car ces missives sont signées Van Gogh, Céline, Koltès. Mon été sera épistolaire, et lettré...

 

Du peintre, après celle échangée avec son frère Théo, voici la correspondance qu'il entretint quatre ans, de 1881 à 1885, avec un ami peintre, Van Rappard. Céline, lui, dans ses lettres à l'écrivain Albert Paraz écrites au Danemark entre 1947 et 1957, sort de prison, vit dans un chalet des bords de la Baltique, passible d'une condamnation à mort; il attend, il gueule. De Koltès, l'auteur de Roberto Zucco, on a enfin toute la correspondance, les errances et les confidences.

 

Lettres à Van Rappard, Vincent Van Gogh, Les Cahiers rouges, Grasset, 243 pages Lettres à Albert Paraz, Louis-Ferdinand Céline, Cahiers de la NRF, Gallimard, 560 pages Lettres, Bernard-Marie Koltès, Minuit, 523 pages – Robert Lévesque, collaboration spéciale

 

 

Le temps de rattraper le temps perdu

 

À première vue, il y a dans ce huitième roman d'Andrée A. Michaud tout ce que j'aime: le jazz (Coltrane, Mingus, Monk, Charlie Parker...); le cinéma américain (David Mamet, Sam Sheppard, Clint Eastwood...); des meurtres à résoudre, des intrigues à retordre; des peurs puissantes, des flics fragiles, une atmosphère de roman noir pour raconter l'histoire d'un loup solitaire qui travaille, la nuit, dans une station de radio perdue; l'Amérique des petites villes du nord-est des États-Unis, celle d'Annie E. Proulx ou de Russel Banks; une jeune héroïne perdue «ayant un penchant prononcé pour le milk-shake, les gommes Bazooka et Jim Morrison». Il m'en faut moins pour être heureuse.

 

En lisant Lazy Bird (Québec Amérique), je me ferai plaisir, enfin j'espère. Mais je comblerai aussi une importante lacune. Car de cette auteure qui a ses fans inconditionnels, je n'avais lu - mea culpa - que Portraits d'après modèles (Leméac, 1991). Il est grand temps que je rattrape le temps perdu. Marie-Claude Fortin, collaboration spéciale

 

Photo: Archives LPC

L'écrivain Daniel Poliquin

Ne pas oublier les vieux amis  

Mis de côté au profit de lectures plus «urgentes», ces bouquins m'appellent du fond de ma bibliothèque. Cet été, je finirai les Cahiers de jeunesse (1926-1930) de Simone de Beauvoir (Gallimard), je poursuivrai la lecture des Mémoires de Casanova (collection «bouquin» chez Robert Laffont) avec qui j'ai le projet de m'évader à Venise, et je découvrirai tous les inédits de Cioran dans les Cahiers de l'Herne qui lui sont consacrés.

 

Je relirai sûrement quelques pages du prince de Ligne aussi, qui me manque. Parce qu'il ne faut jamais rester trop longtemps sans nouvelles de ses bons vieux amis... Et j'en ai heureusement beaucoup. – Chantal Guy

 

 

Se garder une petite faim

 

J'ai commencé à lire Ces animaux qui nous guérissent (Éd. Alphée/Jean-Paul Bertrand) en avril. Et j'ai arrêté après le premier chapitre parce que je voulais me garder le reste pour l'été.

 

Je venais d'apprendre que le «petsao chin», la plus ancienne pharmacopée au monde, évoque les pouvoirs à la fois meurtriers et curatifs d'une toxine contenue dans un poisson des mers du Japon, le «fugu» ou «poisson-globe». L'interdiction de manger du poisson sans écailles qui figure dans le Pentateuque hébraïque viendrait de la présence de poissons-globes dans la mer Rouge. Et l'auteur, Philippe de Wailly, un ami de François Lubrina - que j'aime bien malgré son hippophagie - de continuer avec le globe dans le rite vaudou, qui amenait les «adeptes» en zone inconsciente.

 

Pour l'été, le reste, oui. Après le jazz, loin, loin de la ville. Par ici les abeilles guérisseuses et le cheval «médecin de l'âme». – Daniel Lemay

 

Photo fournie par Gallimard

Une photo de Simone de Beauvoir tirée de Correspondance croisée