Attablées au Café Java, rue Mont-Royal, les deux auteures à l'allure mutine contiennent avec peine leur envie d'aborder de front le sujet, partageant visiblement le même bonheur d'écrire pour les ados. «En abordant des personnages adolescents dans la Mort de Mignonne, je me suis rendu compte que j'avais en main des personnages très souples, très malléables et prêts à essayer toutes sortes de chose, s'enthousiasme Marie-Hélène Poitras. Des personnages qui ne se censurent pas offrent plusieurs possibilités intéressantes.»

Rock & Rose, la nouvelle série que signe l'auteure et critique de musique à l'hebdo Voir, met en vedette deux adolescentes férues de musique. S'adresser à des adolescents nécessite-t-il nécessairement un retour sur sa propre jeunesse? Si Poitras affirme avoir toujours un pied dans cette période mouvementée, India Desjardins, elle, ne se sent pas en contradiction avec le monde adulte. «L'adolescence est un souvenir, mais un souvenir très vif, indique-t-elle. C'est une période intense, difficile, où l'on manque de moyens. Je crois que le recul que j'ai aujourd'hui me permet de transmettre ces mêmes émotions aux ados mais avec des mots, de l'humour, bref avec des façons de traverser cette laborieuse quête d'identité. Je ne crois pas non plus que les ados d'aujourd'hui sont différents de ceux que nous étions. Les émotions sont exactement les mêmes.»

Si l'on s'entend aujourd'hui pour dire que les filles lisent en général davantage que les garçons, aborder la question du lectorat féminin génère toutefois de vives réactions chez les deux auteures. «Mes personnages principaux ont beau être des filles, je ne m'adresse pas qu'à elles, soutient Poitras. Je parle de musique, d'amitié... Je ne peux m'empêcher de penser à la série pour ados Pavel, de Matthieu Simard, une série avec un narrateur masculin. Cette série n'a jamais été présentée comme une série pour gars ! Pourquoi devrait-on le faire pour les filles?»

«Je dois admettre que ce sont des garçons qui m'ont fait remarquer que mes livres les touchaient eux aussi, souligne Desjardins. Je n'ai plus jamais dit que c'était des livres de filles par la suite. Il faut dire qu'il est déplorable que les personnages masculins ne soient souvent pas bien construits dans la littérature dite pour filles.»

Sexe, drogue et chocolat

On s'en doute bien, écrire pour ados, c'est marcher sur un fil. Il faut savoir les intéresser, sans être benêt. Tout un contrat. «Je ne voulais pas écrire quelque chose de gentil, admet Poitras. J'aborde donc de gros sujets comme le suicide ou la drogue. Et bien sûr, le danger, c'est de tomber dans le ton moralisateur à la Watatatow ou dans le ton cool idiot. C'est effectivement un gros défi d'écriture.»

India Desjardins, quant à elle, a clairement fait le choix éditorial de ne parler ni de sexe, ni de drogue ni de violence. «Je réalise toutefois que j'aborde quand même indirectement ces thèmes, note-t-elle. Par exemple, Aurélie mange du chocolat de façon compulsive lors de sa première peine d'amour et se rend compte que quelque chose ne va pas. C'est la même chose pour la sexualité, que j'aborde par l'apparition du désir plutôt que par le passage à l'acte.»

Est-ce à dire que les deux séries s'adressent à différents publics? «Je ne pense pas, juge Poitras. Quand on lit, c'est pour se faire raconter des histoires. Pas nécessairement pour y lire sa propre vie. Déterminer le public cible d'un livre pour ados est très difficile. On n'a qu'à observer le phénomène Harry Potter. L'ennui, c'est qu'il arrive souvent que les ados ne sachent pas quoi lire. J'aime bien la collection Epizzod, à laquelle je participe, parce que ça va peut-être chercher un autre genre de lecteurs, étant découpé en petits segments vendus dans les Couche-Tard. Pourtant, en tout, le feuilleton représente une grosse brique d'environ 400 pages. Rock & Rose est le livre le plus long, le plus complexe que j'aie écrit.» «Il n'y a rien de plus frustrant pour un auteur jeunesse que de se faire demander de catégoriser son public cible, renchérit Desjardins. Ça dépend du niveau de lecture, des intérêts, de plusieurs facteurs.»

Cette dernière insiste d'ailleurs pour briser l'image de l'ado perdu, amoral et sans intérêt pour la lecture. «Les jeunes lisent bien plus qu'on ne le croit. Or, quand un musicien lance un album, on le voit à la télé, dans les magazines, partout. Pas l'auteur. Pourtant, quand je demande aux ados qui aiment lire de lever la main dans une classe, ils sont aussi nombreux que ceux qui aiment la musique», conclut-t-elle avec un grand sourire.

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Le journal d'Aurélie Laflamme Tome 6

India Desjardins

Les Intouchables, 329 pages, 14,95 $

Rock & Rose Vol. 1

Marie-Hélène Poitras

La Courte Échelle, 56 pages, 4,95 $